Philomatique

http://www.lasainteethique.org/psybakh/2012/htm/20120716152800_philomatique.htm#20120731072800

 

 
 
 
 
 
de: Jean-Marc GHITTI jean-marc.ghitti@wanadoo.fr répondre à: Jean-Marc GHITTI <jean-marc.ghitti@wanadoo.fr> à: date: 7 août 2012 01:34 objet: GERMES : la vengeance errante


Le mal dont on fait porter le poids sur l’autre, il provient d’un mal être. C’est pour échapper au mal être qu’on accuse. Ce mal être est d’avoir subi un jour le mal, d’en avoir été victime. L’accusation est donc la vengeance d’une victime. Seulement, c’est une vengeance déplacée : au lieu de retourner le mal contre celui qui nous l’a fait subir, on s’en venge contre un autre, qui, à son tour s’en vengera contre quelqu’un d’autre. L’idée de péché originel, au-delà de ce qu’elle peut avoir de détestable pour certains, comporte au moins une vérité : la racine du mal se situe toujours dans une sorte d’antériorité, elle préexiste à la situation concrète où quelqu’un agit mal.

Marthe est une femme qui n’a cessé d’aller mal. En rencontrant Samson, elle crut trouver une solution, un remède à ce mal être qui l’habitait depuis l’enfance, qui avait traversé son adolescence. Samson fut effectivement, durant quelques années, une source d’apaisement, comme l’est presque toujours l’amour dans la jeunesse. Mais le mal être de Marthe revint peu à peu et, cette fois-ci, elle l’imputa à Samson. Pourtant, lorsqu’on examine l’enfance de Marthe, on trouve que sa vengeance contre Samson, au moyen des enfants, est l’expression déplacée d’une souffrance éprouvée par Marthe mais qui ne trouve pas son origine dans la vie de Marthe : elle trouve son origine dans la vie de la mère de Marthe., Celle-ci a été séparée de son père au moment du divorce de ses parents. Elle a souffert, sans jamais pouvoir l’identifier, de cette absence, qui lui fut imposée d’abord par sa propre mère, puis par son mari. Marthe en voulait à sa grand-mère et à son père qu’elle identifiait comme sources de la souffrance de sa mère. La vie de Marthe est donc la vengeance de Lydie, mais curieusement travestie : en s’en prenant à Samson, le père de ses enfants, Marthe s’en prend bien, par déplacement, à la figure de son propre père mais sans comprendre qu’elle répète du même coup pour ses filles l’exclusion du grand-père. La psychogénéalogie est l’histoire d’une vengeance sans fin mais, le plus curieux, c’est que la vengeance n’annule rien du mal qu’elle veut redresser: au contraire, elle reproduit un mal qui vient toujours d’avant, qui procède d’un originel en fuite. En rejetant le mal sur Samson, Marthe transmet le mal à la génération de ses filles.

 

Brigitte avait le sentiment de ne pas s’être fâchée contre Jacques : elle revendiquait juste le droit de prendre l’amant de son choix en fonction des rencontres qu’elle pouvait faire et de son désir du moment. Elle lui en voulait seulement de ne pas accepter ses revirements sans mot dire. Car ce qui l’effrayait le plus, c’est que Jacques se mette à parler. Et elle savait pertinemment qu’il allait le faire. Contre Jacques, elle se vengeait des interdits qu’à ses yeux il incarnait. Mais, moins que ceux de Jacques, ces interdits étaient ceux de sa famille paternelle. L’hystérie est une vengeance contre la loi morale. Mais l’on ne se venge que de ce qui nous a fait souffrir. La souffrance que Brigitte ne savait même pas souffrir, tant la souffrance hystérique est blanche, était celle de sa mère, Adèle. Le père de celle-ci avait eu un bâtard et la grande peur d’Adèle était que ça se sache : elle en aurait eu honte à cause de la morale et du jugement des autres. En intimant la loi du silence à Jacques, Brigitte venait au secours de sa mère, de son désir de garder à jamais les secrets de la famille. Cependant, elle savait bien que Jacques parlerait et reproduisait du coup, chez sa fille Esther, la même crainte d’entendre divulguer les secrets d’alcôve, crainte qui tourmenterait demain Esther autant qu’elle avait tourmenté Adèle. Ainsi le mal était transmis.

Les vengeances tenaces sont celles où l’on venge quelqu’un d’autre. En général, c’est sa mère qu’on venge et c’est par les mères que le mal se transmet. Exclure le mal, c’est vouloir annuler ce que notre mère est supposée avoir souffert, mais c’est également ainsi que le mal se perpétue.

L’étude de nos deux exemples nous oblige, d’un point de vue théorique, à prendre quelque distance à l’égard de Girard. Girard est parti de la psychanalyse et il prétend la dépasser, pour des raisons somme toute valables. Pourtant, tout en corrigeant Freud, il perd quelque chose en route : il néglige le fait familial. Sa théorie du bouc émissaire explique bien des mécanismes sociaux, mais, avant la société, il y a la famille. A la violence de tous contre un seul, qui pousse au crime sacrificielle, Girard ne donne pas suffisamment son sens de vengeance. Ce sens s’explique parce que ce qui est au cœur du transgénérationnel, c’est la vengeance : une génération répare les injustices de la génération antérieure en vengeant ceux qui passent pour des victimes. Le social ne peut pas être affranchi du familial : la violence sacrificielle est nourrie par la vengeance. Le mythe, comme production sociale et culturelle, trouve sa force et sa valeur dans l’inconscient familial.

Lacan a bien vu, dans sa recherche de l’objet a qui cause le désir, que pour tout être humain, c’est du côté de la mère que se trouve le secret des fantasmes qui orientent l’existence : c’est de la mère que se nourrit le désir. En revanche, on peut se demander s’il a reconnu suffisamment la place de la violence sacrificielle dans la transmission généalogique. Il a parfaitement mis en lumière le rôle de la métaphore et de la métonymie dans le jeu des signifiants : mais là où cette double logique devient décisive, c’est lorsqu’elle permet de réorganiser les logiques de vengeance dans les transmissions familiales.

Nous cherchons donc notre route entre ces deux lectures de Freud : celle de Girard et celle de Lacan. La thèse dont nous essayons de nous approcher peut recevoir une expression provisoire ressemblant à ceci : ce qui noue une génération à une autre, c’est l’appel à la vengeance. Seulement, cette vengeance ne peut s’exercer qu’en se déplaçant sur des cibles qui deviennent des boucs émissaires. Après quoi, s’organisent l’exclusion de ces figures désignées comme mauvaises, par tout un jeu de discours qui les accuse, et avec l’idée qu’on pourra de la sorte venir à bout du mal être. Mais, contrairement à ce que dit Girard, ça ne marche pas, ou ça ne marche qu’un temps, car la vengeance déplacée est une vengeance manquée : elle rate la bonne cible, ce qui est la définition même du péché chez les Hébreux. Et parce qu’elle est ratée, la vengeance est condamnée à se répéter sans fin. C’est pourquoi, il faut, à un moment, introduire la question de la vérité, qui seule peut rompre la transmission du mal. Assurément, il n’y a que la vérité qui guérisse. Mais peut-on prétendre la trouver ? L’essentiel, ce n’est pas de la trouver, mais de la chercher : car la recherche de la vérité, c’est la parole. La vengeance est exécution ; la vérité est un mouvement de parole.

Tout cela est à reprendre et à éclaircir.

de: Jean-Marc GHITTI jean-marc.ghitti@wanadoo.fr répondre à: Jean-Marc GHITTI <jean-marc.ghitti@wanadoo.fr> à: William Theaux <williamtheaux@gmail.com> date: 31 juillet 2012 22:12 objet: Re: GERMES: exclure le mal ou s'en délivrer ?

Merci pour cette réponse qui glisse de l'exclu à l'extrait. Il est vrai que l'extrait sauve quelque chose. Est-ce seulement la Mémoire dont il posséderait l'art ? Oui, sans doute, si l'inclus ou le non-extrait tombe nécessairement dans l'amnésie ou la falsification du passé comme le montrent les totalitarismes politiques qui ont l'histoire en horreur. Mais, au-delà même de la Mémoire, laquelle permet le Récit, ce qui appartient de privilège à l'extrait autant qu'à l'exclu, c'est la Parole. Bruno montre assez que la Parole mène au bûcher et que les inclus n'aime rien tant que de faire taire et de brûler l'écrit.

     20120731072800     Hello Germes !

A côté de l'article que titre "On meurt par ce qu’on exclut", l'histoire rapporte qu'on mémorise par ce qu'on extrait et voici comment j'ai vu la chose. Je l'ai trouvée par chance, sorte du hasard. En deux mots voici comment. J'avais été à Rome pour lire l'histoire de Giordano Bruno et m'étais trouvé trop bien accueilli pour ne pas manquer de lire la suite. C'était l'historienne Yates qui me fit lire son Art de la Mémoire. Bruno le connaissait de Ciceron. Ciceron l'avait amené de Grèce à Rome. Or cet Art de la Mémoire, Bruno mille six cents ans plus tard l'avait remis dans son sillon- à savoir l'Hermétisme qui peut très bien aujourd'hui chanter la chanson de Germes.

Effectivement G.Bruno rendit au Triplex - le Triple (G)Hermes - ce que Ciceron avait emprunté à Simonides, un poète de l'île de Céos - à prononcer en anglais comme "chaos" - qui avait vécu (556-467) un peu avant Socrate (470-399). Sans aller jusqu'à l'économie politique (son avarice proverbiale) Simonide tint une bonne place pour avoir chanté, des hommes la gestion financière ; son modèle du partage (ou de la rétribution) était selon lui à trouver dans l'évocation des Dioscures. Sans aller non plus jusqu'à la protection des Pirates dont ils seraient chargés et que Ciceron au contraire chassait, Castor et Pollux ne peuvent pas être aussi jumeaux qu'ils ne logent une opposition et un paradoxe de première classe.

L'art de la mémoire est donc monnayé et c'est ce qui ne plait aux hommes. Simonides raconte que la moitié de la somme qui chiffre la valeur des choses doit être soustraite au grès des dieux. Autrement dit, nous ne gardons la mémoire que si nous rendons la moitié de notre salaire aux impôts ; ce serait une façon prosaïque et une manière expéditive d'imposer aux hommes qu'ils gardent la mémoire.
Mais si la taxation fait bonne figure au prétexte de l'Histoire, la contrepartie qu'elle traite ternit son horizon, auquel on arrive avec les marques de la mort. Je rappelle en deux mots ce qu'est cet art, qui justifieront pourquoi j'en parle ainsi : Simonide, le poète, chante les hommes. Mais bientôt son service est pour moitié retenu avant qu'il n'aille dehors - extrait - voir, dit le Maître, "si j'y suis". En effet le sort lui aura prononcé le fameux "va voir là-bas si j'y suis", au milieu du Banquet dont il sort. C'est alors qu'à la recherche de cette valeur dont il est dispensé, ayant quitté sa place un instant, l'extrait échappe au tremblement de terre et à l'effondrement du bâtiment sur la tête et tout le corps. On l'aura compris : avant que sa petite affaire soit conclue, Simonides est sorti de la maison où il chantait des éloges et, tandis qu'il aurait pu rencontrer alors des dieux, quand il revint bredouille il trouvait ses compagnons écrabouillés, méconnaissables et confondus sous les pierres. Cependant cette extraction permit donc qu'il rende à chacun son nom.

Si je me suis donc bien expliqué, on trouvera ce que le Maître aura fantasmé s'il prit son mauvais sort comme une vengeance de l'extrait ("On meurt par ce qu’on exclut"). Mais Scopas (qu'on reconnaîtra dans l'énoncé en détail du rapport que fait Ciceron ../../../dna/priv/yatoplan.htm ) pouvait être sans culpabilité de ne pas croire aux dieux ni n'être superstitieux auquel cas il aura vu ce que Simonides aussi apprenait et la raison pour laquelle on dit qu'il fut l'inventeur de l'Art de la Mémoire.

de: Jean-Marc GHITTI jean-marc.ghitti@wanadoo.fr répondre à: Jean-Marc GHITTI <jean-marc.ghitti@wanadoo.fr> à: date: 30 juillet 2012 11:37 objet: GERMES: exclure le mal ou s'en délivrer ?

Les deux axes du travail de PPP cette année sont d’une part les mécanismes d’exclusion et d’autre part la question de la faute. Ces deux axes ne sont évidemment pas sans relation : nous pressentons un lien profond entre ces deux questions et il faudra l’éclairer.

Si l’on se réfère à la pensée de René Girard, comme à un point de départ, nous pourrions déjà dire ceci. Dans les cultures traditionnelles, il s’agit d’exclure le mal en le faisant porter sur un bouc émissaire. Il faut immédiatement faire une différence radicale entre exclure le mal et être délivré du mal, car on ne se délivre pas du tout de ce qu’on exclut mais nous y reviendrons. Par rapport à ce mécanisme disons primaire qui consiste à exclure le mal, le cheminement spirituel consiste à voir de mieux en mieux que l’exclusion, qu’on prenait pour le remède, est en vérité le mal même. C’est sous l’illusion du remède que se cache le mal.

Ce sont évidemment des points à approfondir mais cela a déjà de quoi beaucoup nous parler dans nos vies. Que chacun l’applique à sa vie.

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Après les décennies qui ont suivi son divorce, Marthe s’est forgé, en toute bonne foi, une ferme conviction : c’est à cause de Samson, son ex-mari, que tout a commencé à aller mal pour elle, c’est par lui que le malheur s’est introduit dans sa vie. Elle a pensé qu’en l’excluant de sa vie, et par extension de la vie de ses enfants, elle pourrait exclure le mal. Marthe était de ses personnes qui remplacent la réflexion par l’accusation. Elle utilisait les procédures judiciaires comme des rituels sacrificiels : il n’y en avait jamais assez. Et cependant, Marthe allait de plus en plus mal et, par extension, ses enfants perdaient peu à peu leur équilibre psychologique. La stratégie d’exclusion de Samson qu’elle mettait en œuvre comme un remède était en réalité la source du mal. Samson comprenait bien que ses enfants, qui eux aussi maintenant l’excluaient, étaient aliénés à leur mère, mais quelque chose lui échappait encore : il ne voyait pas comme Marthe était aliénée à lui-même, bien plus aujourd’hui par la haine qu’elle lui portait qu’elle ne l’avait été jadis par l’amour.

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Un jour, Jacques a été confronté à une situation étonnante. Il s’est présenté chez son amie Brigitte, d’une manière tout à fait habituelle : ils ne vivaient pas constamment sous le même toit mais depuis environ un an, il passait presque tous les jours. Ce lundi-là, Jacques trouve Raoul chez Brigitte : il savait qu’ils avaient mangé ensemble au restaurant la semaine précédente et il pouvait être très normal qu’elle l’invite à déjeuner chez elle. Cependant, après que Jacques ait frappé, Brigitte, au lieu de lui ouvrir, lui barre carrément l’entrée de la maison avec son corps. Depuis ce jour, Jacques n’a plus jamais pu entrer chez Brigitte. Celle-ci, du jour au lendemain, a organisé une véritable substitution : Raoul fut mis en lieu et place de Jacques, dans la même maison pour jouer la même fonction, celle du compagnon régulier. Brigitte n’a rien changé de sa vie, elle a juste substituer une personne à l’autre. Jacques, qui était le compagnon devint désormais l’intrus, celui à qui l’on n’ouvrait plus la porte, celui qu’il fallait exclure. Pour justifier cette substitution, Brigitte se mit à trouver toutes sortes de défauts à Jacques : elle le désignait désormais comme celui qui lui avait fait du mal. Raoul reprenait comme un perroquet tous les jugements négatifs de Brigitte contre Jacques.
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Dans nos vies, le discours des uns et des autres n’est pas fait pour dire la vérité. Il est toujours un discours de circonstance, destiné à justifier un comportement qui, en réalité, obéit à d’autres mécanismes. Parmi les différentes formes de discours, le discours d’accusation est l’un des plus intéressants : il peut être en total décalage avec les faits mais il s’explique principalement par sa fonction, celle d’exclure. Les accusations de Marthe contre Samson, reprises ensuite par les enfants de Samson contre leur père, les accusations de Brigitte contre Jacques, reprises ensuite par Raoul contre son rival, toutes ces accusations, si différentes sans doute dans leur expression ont en commun leur but : faire de l’exclu le porteur du mal. A travers lui, il s’agit d’exclure le mal. Mais, en réalité, ce mal, dont on accuse l’autre, quel est-il ?

 

de: Jean-Marc GHITTI jean-marc.ghitti@wanadoo.fr répondre à: Jean-Marc GHITTI <jean-marc.ghitti@wanadoo.fr> à: date: 29 juillet 2012 00:32 objet: GERMES: on meurt par ce qu'on exclut

> Chers amis de Germes,

> Ci-dessous une de ces lettres philosophiques dont je vous avais parlées dans le préambule que je mets en pièce jointe, une de ces lettres sur quoi fonder notre commune et très personnelle recherche. JM

 

On meurt par ce qu’on exclut.

Je suis allé me recueillir, hier, sur la tombe d’un avocat que j’ai aimé. Dans le petit cimetière de Chaudeyrolles, sa tombe est singulière : du buis, des arbustes, une croix taillée dans de la pierre, une épitaphe. Mais pas de nom. On peut toujours dire que la vie est impersonnelle et qu’avec l’homme le nom doit disparaître. Chacun son interprétation. Pour ma part, j’en savais assez sur la relation difficile de mon ami avec son père pour comprendre que le nom qui ne s’inscrit pas sur la tombe, ce n’essans t pas son nom personnel : c’est le nom du père. Poursuivre jusque dans la tombe l’effacement du nom du père, voilà la signature que le défunt laisse dans le petit cimetière de Chaudeyrolles.

Je crois que mon ami s’est trompé. Lorsqu’il me recevait dans son bureau, je lui demandai, le connaître, de défendre mes droits paternels. Un avocat, ça défend toutes les causes. Même celles que, dans sa vie d’homme, il combat. C’était un bon avocat, il pouvait sauver des situations compromises et je crois, avec le recul du temps, qu’il prenait un plaisir particulier à défendre ceux qui pensaient tout autrement que lui : aller défendre leur père auprès de mes filles, lui qui n’avait jamais, en son for intérieur, réhabilité son propre père, c’était une subtilité qui m’échappait un peu alors, tout enfermé que j’étais dans ma souffrance personnelle. Il parlait parfois des autres affaires dont il s’occupait. Il était, en ce temps-là, l’avocat d’un jeune homme parricide. J’ai compris devant sa tombe sans nom pourquoi il pouvait se laisser captiver par ce crime : tuer son père.

Je crois, cependant, que mon ami s’est trompé, si intelligent qu’il ait pu être et capable de faire varier son point de vue sur les choses. Il y avait chez lui une vraie recherche spirituelle. Fasciné par le verbe qu’il déployait au prétoire, il en était venu à étudier l’Evangile de Jean : en quoi le Verbe peut-il bien être Dieu, se demandait-il ? Mais, si impersonnels que puisse être le Verbe, et également nos vies, nous n’avons pas le droit de nous affranchir à ce point de notre lignée et de notre histoire. Une tombe pour soi seul, une tombe qui ne porte pas le nom du père, une tombe qui ne pourra accueillir, auprès du défunt, ni son épouse, ni un frère ou une sœur, voilà l’erreur de mon ami. Sous la recherche spirituelle de l’impersonnel, ce qui se cache, ici, c’est l’orgueil. L’orgueil de croire que notre vie nous appartient assez pour qu’on puisse la retirer à ceux qui nous l’ont donnée, à ceux qui se sont unis à elle conjugalement. Oui, la vie est impersonnelle, surtout quand elle s’élève à la pensée et à la parole, mais notre dépouille, il convient de la rendre au nom et aux nôtres, je veux dire à ceux qui pensent qu’on leur appartient, comme fils, comme époux ou comme père. La morale demeure le critère implacable de toute spiritualité.

Cet orgueil bien masqué de mon ami, cette erreur dont sa tombe porte signature, il faut dire qu’il a passé sa vie professionnelle à en déployer les conséquences. Qu’est-ce qu’un avocat, de nos jours, si ce n’est quelqu’un qui gagne sa vie à partir des liens familiaux qu’il tente de dénouer ? A quoi sert le Droit dans notre société (et ce n’est pas pour rien que mon ami, qui était si profondément littéraire et qui passait son temps à lire les tragédies grecques entre deux clients, en avait fait son étude) si ce n’est à défendre cette conception erronée d’une vie qui n’appartiendrait qu’à soi ? Qu’il le sache ou non, l’avocat est l’instrument social de cette erreur et de cet orgueil inscrits au cœur de l’individualisme. Parce qu’il était intelligent, mon ami en avait pris conscience et avait voulu s’en faire le justificateur. Lorsque je lui portai mon premier livre de la série de quatre que j’ai écrite sur ces questions, il n’apprécia guère les thèses que j’en venais à développer : ce jour-là, il me fit payer bien chère la consultation.

On meurt par ce qu’on exclut. Souffrir d’asthme et mourir étouffé en l’une de ses crises n’est pas sans relation avec le fond de la question que nous posons. Quel est ce vide étrange où l’asthmatique ne parvient plus à retrouver son souffle, comme s’il se perdait au fond d’un océan ? S’agit-il d’un océan de solitude ? Est-ce l’angoisse où laisse l’absence d’un père ? Est-ce l’étouffement produit par l’excessive proximité d’une mère qu’aucune parole paternelle n’aura su mettre à bonne distance ? Toutes ces questions, si l’esprit n’en veut rien savoir, l’asthme les pose. On meurt par ce qu’on exclut.

Par son orgueil, par son erreur, mon ami me laisse, longtemps après sa mort, ces questions en héritage. A moi, père exclu de la vie de mes filles et qui s’inquiète chaque jour pour elles, car elle est terrible la loi incapable qui se dégage de ma méditation sur cette tombe sans nom : on meurt de ce qu’on exclut. Il m’appartient encore d’en développer les conséquences dans les multiples situations de la vie. Mais l'écriture n'est pas pour nous un jeu: elle est un engagement et un acte. Que cette lettre serve à rendre au fils Valois ce nom qu’à Chadeyrolles aucune stèle ne porte.

 

     20120719075100     Cher JMG,

Je poursuis dans ce que je pense être Germes commençant. Et tendant à ce qui me semble être en question : vers où ? verrou... quelle place ? où vers ? avec cet entendement que nous avons commencé à pouvoir désigner les lieux, non plus par des noms seuls, mais pas des lettres, algébriques et non plus seulement géométriques.

Notre communauté d'expérience passe par ces livres - les tiens que j'aimerai bien connaître, et mes quelques-uns ( ../../../william-theaux/index-prod-livres.htm ici il en manque 8  que je suis en train de formater pour l'édition eBook). L'Etat, la famille, la dissidence, la transparence (notamment en cours d'une formulation ../../../leparti/2012/htm/20120623170700_transparence_0.htm qui appelle volontiers commentaires et contributions) etc.. sont autant de nos correspondances, évidemment ajoutant l'exercice pratique de la non-lecture.

Quelques mots à ce propos car j'ai eu l'occasion de débuter cet exercice (de non-lec) avec une opportunité. Ce fut celle d'avoir à écrire pour une thème totalement concret. Pas bien différent du mode d'emploi d'une machine à laver, j'ai commencé par une fiche technique. Ce fut une aubaine pour circonscrire une situation claire. Ce n'était pas parce que la machine n'existait pas que personne quasiment ne lut ma doc ; la machine est toujours dans le jardin où j'évite qu'elle rouille. Il est possible encore aujourd'hui de la voir et quelques uns, même, y sont venu laver leur linge. J'ai donc rapidement dû me rendre compte de la raison pour laquelle mes livres étaient sans lecteurs. Me sont apparues deux choses combinées en une seule raison. On ne lit plus et on n'écrit pas pour des lecteurs. C'est parce que j'abordais un thème très technique que j'eus la facilité de voir que j'écrivais.. eh bien, pour des machines. On sait bien qu'aujourd'hui, une fiche technique de construction, de manipulation ou de réparation de machine s'adresse à des robots d'usine ou de triages, voir à des robots ménagers. J'ai donc dès le départ eu l'idée, forcément, que je n'écrivais que pour des machines. J'ai commencé, précisément en 1984 avec un texte titré de mon nom (THEAUX) conçu pour donner un enseignement philosophique (linguistique) à l'intelligence artificielle.. un lieu que je désigne : « /ia/ »  et que je nomme « LAPAREIL ».

Ca m'a considérablement aidé de pouvoir démarrer de ce pas là.

Maintenant : comment vois-tu la vie trine de Germes ? Sa vie bio étant maintenant localisée dans cet Etat (c'est à dire cette machine où nos mots, paroles, et codes, gènes, sont industrialisés ensemble) il faut bien à présent que les semblants qu'on se n'homme, mettent la fiche. J'ai utilisé aussi tôt que possible le web par des sites personnels. On parle beaucoup du cloud aujourd'hui. Est-ce que Germes va se mettre en vitrine à Google.doc?

Amitiés, W/DWT

de: Jean-Marc GHITTI jean-marc.ghitti@wanadoo.fr
répondre à: Jean-Marc GHITTI <jean-marc.ghitti@wanadoo.fr>
à: williamtheaux <williamtheaux@gmail.com>
cc: williamtheaux <wiliamtheaux@gmail.com>
date: 17 juillet 2012 22:03
objet: GERMES

Cher William Théaux, je vous remercie de votre intérêt pour notre projet de GERMES, et suis heureux des convergences avec vos propres orientations.

 

Pour ce soir, je voudrais vous dire que je suis souvent étonné de la réaction de ceux qui m'entourent à l'égard des idées que j'avance. Je vais publier, dans les jours qui viennent, mon dixième livre et je m'aperçois que, pour la plupart des gens, c'est comme si je n'avais rien écrit. J'ai l'impression parfois qu'on attend de moi que je sois comme tout le monde ! J'ai l'impression qu'on n'a rien lu de ce que j'ai écrit. Eh quoi, toutes ces heures et ces années de ma vie à chercher ma pensée dans les mots, pour ne rien mettre en pratique et me soumettre encore aux convenances sociales ! Je crois rêver !

 

Car enfin, dans ces livres que mes amis ne lisent pas, il y a ce que je développe dans GERMES, et bien davantage !

 

D'abord, je professe une posture socratique en philosophie et on s'étonne que je l'adopte ! Récemment, je me suis brouillé avec un faux ami qui m'exprimait sa stupéfaction en lui disant que la stupéfaction et l'étonnement, c'est précisément la fonction du philosophe que de les provoquer.

 

Dans L'ETAT ET LES LIENS FAMILIAUX, je développe une pensée de la dissidence, définie comme vie dans la vérité, et on vourdrait que je ne la mette jamais en pratique !

 

Dans plusieurs livres, j'étudie la frontière entre privé et public, mais personne ne semble avoir lu ces analyses !

 

Dans tous mes livres, je critique l'individualisme petit bourgeois (un de mes thèmes majeurs) et on attend de moi que je me soumette à ses dogmes ! Je crois rêver !

 

Dans mon travail avec les médiateurs familiaux, j'insiste sur la nécessité de trianguler, quatranguler, etc. les relations humaines, et on s'étonne que je le fasse

 

Dans tous mes livres, j'adopte une démarche existentialiste, càd une recherche de vérité à partir de l'expéreince personnelle, et on s'étonne que je le fasse !

 

Je ne demande à mes amis ni d'être mes lecteurs (quoiqu'un peu d'intérêt pour mon travail serait un signe d'amitié) ni d'être d'accord avec moi. Mais, si la tolérence est rare chez ses ennemis, on peut au moins l'attendre chez ses amis. Ceux qui n'iraient pas même jusque là, je les appelrai des faux amis, et GERMES peut servir à faire tomber des masques et à tracer des lignes de partage !

 

Jean-Luc Plèche a raison d'être venu vers moi avec sa problématique de la congruence nécessaire entre ses propres idées et sa vie.

 

Vous savez, William, on est toujours le fou de quelqu'un, et l'on sait rarement qui est plus fou que l'autre mais ceux qui confondent la raison avec les convenances sociales sont assuréement des imbéciles.

 

Engageons-nous dans GERMES: l'intelligence est une lumière, elle exige la transparence. JM