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Suivi à la trace selon son souhait |
Trop drôle que les traces qu'il cherchait étaient en Thrace
INTRODUCTION - brève explication page en cours d'étude et construction |
COORDONNÉES & TABLE DES MATIÈRES
Comme expliqué ci-dessus : ci-dessous les 13 passages extraits relevant du mot 'trace' indexés d'un court titre/aphorisme interprétatif par DWT
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Où ce sont des faits qui se sont réellement produits que l'on souhaite oublier
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Nous avons incontestablement l'impression que ce Moïse de Quadès et de Midian, à qui la tradition a même pu attribuer l'érection d'un serpent d'airain représentant un dieu de la guérison, est tout à fait différent du majestueux Égyptien dont nous avons inféré l'existence et qui a donné au peuple une religion dont toute pratique de magie ou de sorcellerie se trouvait rigoureusement exclue. Notre Moïse égyptien diffère peut-être tout autant du Moïse de Midian que le dieu universel Aton de l'habitant de la montagne sacrée : Jahvé le démon. Et si nous ajoutons foi, dans une certaine mesure, aux découvertes des historiens modernes, nous sommes forcés d'admettre que le fil qui devait, à partir de la croyance en l'origine égyptienne de Moïse, nous servir à tisser notre trame, se trouve rompu pour la seconde fois et ici sans espoir de raccord.
CHAP V
Mais voici que s'offre à nous un moyen imprévu de tourner la difficulté. Après Ed. Meyer, Gressmann et d'autres chercheurs s'efforcèrent encore d'élever la figure de Moïse bien au-dessus de celle des prêtres de Quadès et de ratifier le renom que lui a donné la tradition. En 1922, Ed. Sellin a fait une découverte d'une importance capitale en trouvant dans le livre du prophète Osée (seconde moitié du VIIIe siècle) les traces certaines d'une tradition selon laquelle le fondateur de religion, Moïse, trouva une fin brutale au cours d'une révolte de son peuple opiniâtre et récalcitrant. La religion qu'il avait fondée fut, à la même époque, abandonnée. Cette tradition, d'ailleurs, ne se retrouve pas que dans Osée, elle reparaît plus tard dans les écrits de la plupart des prophètes et c'est même sur elle, d'après Sellin, que se baseraient tous les espoirs messianiques ultérieurs. C'est vers la fin de l'exil babylonien que les Juifs commencèrent à espérer que le prophète qu'ils avaient si ignominieusement assassiné allait se relever d'entre les morts et conduire son peuple repentant, et d'autres peut-être avec lui, dans le royaume de la félicité éternelle. Nous n'avons pas ici à faire de rapprochement avec le destin si semblable réservé plus tard à un autre fondateur de religion. Je ne suis naturellement pas en mesure de décider si Sellin a correctement interprété les passages prophétiques. Mais s'il avait raison, il nous serait alors permis de considérer comme une vérité historique la tradition qu'il a reconnue. En effet, de pareils faits ne s'inventent pas, on n'aurait aucun motif tangible d'agir ainsi. Mais au cas où ces faits se seraient réellement produits, on comprend facilement pourquoi il a semblé souhaitable de les oublier. Rien ne nous oblige à ajouter foi à tous les détails de la tradition. Sellin croit que le meurtre de Moïse eut pour théâtre Shittim, dans la région orientale du Jourdain. Nous verrons bientôt que le choix de cette localité ne s'accorde guère avec nos arguments.
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Pour oublier les faits il convient de dissimuler, effacer, nier les traces
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Voyons d'abord ce que nous apprend une étude critique de la Bible sur la façon dont fut écrit l'Hexateuque (les cinq livres de Moïse et le livre de Josué qui seuls nous intéressent ici) [1]. C'est J., le jahviste, qui passe pour être la plus ancienne des sources et nombre de chercheurs modernes ont récemment reconnu en lui le prêtre Ebjatar, contemporain du roi David [2]. Un peu plus tard, à une date qu'on n'a pu préciser, vient le prétendu Elohiste, qui appartient au nord du royaume [3]. Après la destruction de ce royaume, en 722, un prêtre juif a réuni des parties de J et de E, en y apportant quelques additions. C'est sa compilation qu'on désigne par les lettres JE. Au VIIe siècle, vient s'y ajouter le Deutéronome, le cinquième livre dont l'ensemble fut censé avoir été alors retrouvé dans le Temple. C'est à l'époque qui suivit la destruction du temple (586), pendant l'exil et après le retour, qu'on situe la nouvelle version appelée « Code des prêtres »; au Ve siècle, l'œuvre prend sa forme définitive et n'a depuis subi aucune modification notable.
L'histoire du roi David et de son temps est très probablement l'œuvre d'un contemporain. C'est un véritable récit historique, antérieur de cinq cents ans à Hérodote, le « père de l'Histoire ». Si l'on admet avec moi qu'une influence égyptienne se soit exercée, on sera plus près de comprendre cette œuvre . On a même suggéré que les Israélites d'époques plus lointaines, les scribes de Moïse, avaient contribué à l'invention du premier alphabet . Il va de soi que nous ne savons nullement dans quelle mesure les récits des temps anciens sont basés sur des relations écrites ou sur des traditions orales, ni quel intervalle de temps a séparé chaque événement de sa relation écrite. Cependant le texte, tel qu'il nous est parvenu, nous en dit assez sur ses propres avatars : on y retrouve les traces de deux traitements diamétralement opposés. D'une part les remanieurs ont altéré, mutilé, amplifié et même retourné en son contraire, le texte suivant leurs secrètes tendances ; d'autre part, une piété déférente l'a préservé, a cherché à tout garder eu l'état où elle l'avait trouvé, que les détails concordassent ou se détruisissent mutuellement. C'est ainsi qu'on trouve partout d'évidentes lacunes, de gênantes répétitions, des contradictions patentes, les vestiges de faits dont on n'aurait pas souhaité qu'ils fussent révélés. La déformation d'un texte se rapproche, à un certain point de vue, d'un meurtre. La difficulté ne réside pas dans la perpétration du crime mais dans la dissimulation de ses traces. On souhaiterait redonner au mot Entstellung son double sens de jadis . Ce mot, en effet, ne devrait pas simplement signifier « modifier l'aspect de quelque chose », mais aussi « placer ailleurs, déplacer ». C'est pourquoi dans bien des altérations de textes, nous sommes certains de retrouver, caché quelque part bien que modifié et arraché à son contexte, ce qui a été supprimé et nié {oedipe}, seulement nous avons parfois quelque difficulté à le reconnaître.
Les tendances déformantes que nous cherchons à découvrir doivent avoir agi sur les traditions avant même que celles-ci eussent été relatées par écrit. Il nous a été donné d'en découvrir une, la plus puissante de toutes, peut-être. Nous avons dit que lorsque le nouveau dieu Jahvé fut instauré à Quadès, if fallut bien trouver quelque chose pour l'honorer. Il serait plus exact de dire qu'il fallut l'installer, lui trouver une place, effacer les vestiges des anciennes religions. En ce qui concerne la religion des tribus établies là, tout semble avoir parfaitement réussi et l'on n'en entendit plus parler. Mais les choses n'allèrent pas aussi bien avec les Israélites revenus : ils étaient bien déterminés à ne pas se laisser arracher leur exode d'Égypte, pas plus que le personnage de Moïse et la coutume de la circoncision. Certes, ils avaient séjourné en Égypte, mais ils en étaient revenus et dès lors toute trace d'influence égyptienne devait être niée. On s'arrangea pour déplacer Moïse vers Midian et Quadès et pour le faire fusionner avec le prêtre fondateur de la religion de Jahvé. Il fallut bien maintenir la circoncision, l'indice le plus compromettant de la dépendance à l'égard de l'Égypte, mais l'on s'efforça, contre toute évidence, de séparer cette coutume de l'Égypte. Il se trouve dans l'Exode un passage énigmatique où il est dit que Jahvé s'irrita de voir Moïse abandonner la circoncision et que la femme midianite de ce dernier sauva la vie à son époux en procédant rapidement à l'opération! Ce récit est évidemment destiné à contredire un fait révélateur. Une autre invention, nous le verrons bientôt, fut également destinée à invalider une preuve gênante.
Une autre tendance qu'on ne saurait, je crois, qualifier de nouvelle car elle ne fait que se continuer, cherche à nier que Jahvé fut pour les Juifs un dieu nouveau, un dieu étranger. C'est à quoi tendent les légendes des patriarches, Abraham, Isaac et Jacob. Jahvé affirme avoir été le dieu de ces patriarches bien qu'il reconnaisse lui-même avoir été alors adoré sous un autre nom. |
où l'on a retrouvé, par piété, modifié, arraché, ce qui a été supprimé
des traces en tradition - revenant en épopée
sur la démocratie - l'épopée homérique
A partir de ce point, la suite du texte sera conditionné par l'erreur ici détectée, et sa lecture celle d'un refoulement avec ses compensations symptomatiques sinon les pures et simples traces dont Freud fait d'abord état, avant qu'elles ne tournent à la foi religieuse. Ici le texte que j'extraie méthotiquement se continue sans transition : |
d'une tradition - devenant religion
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A l'époque où se préparait, chez les Juifs, le renouveau de la religion mosaïque, le peuple grec possédait un trésor incomparable de légendes et de mythes de héros. On croit que c'est vers le IXe, ou le VIIe siècle qu'apparurent les deux épopées homériques dont les thèmes sont empruntés à l'ensemble de ces mythes. Grâce à nos connaissances psychologiques actuelles, nous aurions été en mesure, longtemps avant Schliemann et Evans, de nous poser la question suivante : où donc les Grecs ont-ils puisé tous ces thèmes de légendes dont se sont emparés Homère et les grands dramaturges pour créer leurs chefs-d'œuvre ? Notre réponse aurait été celle-ci : ce peuple a vraisemblablement, au cours de sa préhistoire, connu une période d'opulence et de floraison culturelle ; cette civilisation a sombré dans une catastrophe qu'a relatée l'histoire, mais une obscure tradition s'en est conservée dans les légendes. Les recherches archéologiques contemporaines ont confirmé cette hypothèse qui, à l'époque, aurait certainement paru audacieuse, et ont permis de découvrir la magnifique civilisation minoenne-mycénienne qui disparut sans doute, sur le continent grec, vers 1250 av. J.-C. Les historiens grecs des époques plus tardives font à peine mention de cette civilisation : une observation à propos du temps où les Crétois possédaient la maîtrise des mers, une allusion au roi Minos, à son palais et au labyrinthe, c'est tout. Rien de cette grande époque n'a subsisté que les traditions dont se sont emparés les poètes.
D'autres peuples encore possèdent des épopées, es Allemands, les Hindous, les Finnois. Il appartient aux historiens de la littérature de découvrir si l'on peut, à propos de ces œuvres, faire les mêmes hypothèses que pour les Grecs. Je pense que de semblables recherches donneraient un résultat positif. A mon avis voilà comment s'explique l'origine des épopées populaires : il existe une période d'histoire ancienne qui immédiatement après sa fin semble importante, grandiose, toute emplie de faits remarquables et sans doute toujours héroïque. Toutefois cette époque se situe dans des temps si éloignés, si reculés que seule une obscure et incomplète tradition en conserve les traces aux futures générations. On s'est étonné de constater que l'épopée, en tant que genre littéraire, ait disparu au cours des siècles, peut-être est-ce parce que les conditions nécessaires à son éclosion ne se présentent plus. Le vieux matériel a été épuisé et, pour tous les événements ultérieurs, l'histoire a pris la place de la tradition. De nos jours, les actes les plus héroïques ne sauraient inspirer d'épopée ; Alexandre le Grand ne se plaignait-il pas déjà de ne pouvoir trouver d'Homère capable de le célébrer.
Les époques lointaines exercent sur l'imagination un vif et mystérieux attrait. Dès que les hommes sont mécontents du présent, ce qui est assez fréquent, ils se tournent vers le passé et espèrent, une fois encore, retrouver leur rêve jamais oublié d'un Âge d'or . Sans doute continuent-ils à subir le charme magique de leur enfance qu'un partial souvenir leur représente comme une époque de félicité introublée. Lors que ne subsistent plus du passé que les souvenirs incomplets et confus que nous appelons traditions, l'artiste trouve un grand plaisir à combler, au gré de sa fantaisie, les lacunes de la mémoire et à conformer à son désir l'image du temps qu'il a entrepris de dépeindre. On pourrait presque dire que plus la tradition est devenue vague, plus le poète peut en faire usage. Comment dès lors s'étonner de l'importance de la tradition pour la poésie ? L'analogie avec les conditions nécessaires à l'éclosion de l'épopée nous incitera à admettre plus facilement cette idée singulière que ce fut, chez les Juifs, la tradition mosaïque qui ramena le culte de Jahvé à la vieille religion { non pas une religion } de Moïse. Mais les deux cas diffèrent sur un autre point, dans l'un, il s'agit de la production d'un poème, dans l'autre, de l'instauration d'une religion{ oui, alors une religion }. Or en ce qui concerne cette dernière, nous avons admis que, sous la poussée de la tradition, elle se trouvait reproduite avec une fidélité dont on ne trouve aucun exemple dans l'épopée. Cependant assez de points restent obscurs dans le problème pour justifier notre besoin de trouver de meilleures analogies.
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sur le culte - la religion monothéiste
de l'analogie de la Grèce pour Israël à la psychologie collective pour l'individu
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Ainsi accablé de symptômes, affligé d'incapacité, il finit, après la mort de son père, par se marier, mais alors le fond de son caractère apparut et il rendit la vie impossible à tout son entourage. Égoïste invétéré, despote brutal, il lui fallait manifestement tourmenter autrui. Il devint la copie fidèle de son père tel que son souvenir l'avait campé, c'est-à-dire qu'il ressuscitait l'identification à ce père, l'identification qu'enfant il avait faite pour des raisons d'ordre sexuel. Nous reconnaissons, dans cette partie de la névrose, le retour du refoulé dont nous avons dit qu'il devait être compté avec les effets immédiats du traumatisme et le phénomène de la latence, parmi les symptômes essentiels d'une névrose.
Moïse, son peuple et le monothéisme : première partie IV. Application
Traumatisme précoce, défense, latence, explosion de la névrose, retour partiel du refoulé, telle est, d'après nous, l'évolution d'une névrose. J'invite maintenant le lecteur à faire un pas de plus et à admettre qu'il est possible de faire un rapprochement entre l'histoire de l'espèce humaine et celle de l'individu. Cela revient à dire que l'espèce humaine subit, elle aussi, des processus à contenus agressivo-sexuels qui laissent des traces permanentes bien qu'ayant été, pour la plupart, écartés et oubliés. Plus tard, après une longue période de latence, ils redeviennent actifs et produisent des phénomènes comparables, par leur structure et leur tendance, aux symptômes névrotiques.
Je crois avoir devine ce que sont ces processus et je veux montrer que leurs conséquences, qui se rapprochent fortement des symptômes névrotiques, sont les phénomènes religieux. Après la découverte de l'évolution, nul ne saurait contester que l'espèce humaine ait eu une préhistoire et comme celle-ci reste inconnue -ou ce qui revient au même oubliée - cette conclusion a, à peu près, la valeur d'un axiome. Si nous apprenons que, dans les deux cas, les traumatismes efficients et oubliés se rapportent à la vie de la famille humaine, nous accueillerons cette information comme un don agréable et imprévu auquel les précédentes discussions n'avaient pas permis de s'attendre.
J'ai déjà soutenu cette thèse il y a un quart de siècle de cela, en 1912, dans mon livre Totem et Tabou et ne ferai que répéter ce que j'ai dit alors. Mon argumentation se base sur une suggestion de Ch. Darwin et se réfère à une hypothèse d'Atkinson: aux temps primitifs, l'homme vivait en petites hordes dont chacune était gouvernée par un mâle vigoureux. L'époque ne peut être précisée et nos connaissances géologiques elles-mêmes ne nous apprennent rien à ce sujet. Sans doute le langage n'était-il alors qu'à peine ébauché. Un point essentiel de notre argumentation est que le destin que nous allons retracer fut celui de tous les hommes primitifs, donc celui aussi de nos aïeux.
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A ce point, nous pouvons arrêter une conclusion, déduction : en
mettant en parallèle psychologies individuelle et collective
qu'il cherche à joindre, on voit Freud en prenant l'exemple du
peuple Hébreux refouler le rôle de son
voisinage hellénique. Par conséquent la Grèce
représente pour lui l'équivalent d'une psychologie collective
pour le peuple hébreux. On constate ainsi comment pour Freud ce peuple hébreux représente une psychologie individuelle, confiné par ce qu'il appelle le meurtre du père - et comment son concept de traces mnésiques d'expression externe (anglais) ou d'impression du dehors (français) s'applique à ce voisinage de peuple (grec) en psychologie aussi bien qu'à un modèle génétique de l'évolution (allusion de Freud effectivement confirmée). |
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J'ai déjà soutenu cette thèse il y a un quart de siècle de cela, en 1912, dans mon livre Totem et Tabou et ne ferai que répéter ce que j'ai dit alors. Mon argumentation se base sur une suggestion de Ch. Darwin et se réfère à une hypothèse d'Atkinson: aux temps primitifs, l'homme vivait en petites hordes dont chacune était gouvernée par un mâle vigoureux. L'époque ne peut être précisée et nos connaissances géologiques elles-mêmes ne nous apprennent rien à ce sujet. Sans doute le langage n'était-il alors qu'à peine ébauché. Un point essentiel de notre argumentation est que le destin que nous allons retracer fut celui de tous les hommes primitifs, donc celui aussi de nos aïeux.
Cette histoire ainsi racontée paraît très condensée comme si ce qui avait mis des années à s'achever, ce qui s'était répété sans cesse, ne s'était en réalité produit qu'une seule fois. Le mâle vigoureux, seigneur et père de toute la horde, disposait à son gré et brutalement d'un pouvoir illimité. Toutes les femelles lui appartenaient : les femmes et les filles de sa propre horde ainsi, sans doute, que celles ravies aux autres hordes. Le sort des fils était pénible : quand il leur arrivait de susciter la jalousie de leur père, ils étaient massacrés, châtrés ou chassés, se voyaient contraints de vivre en petites communautés et ne pouvaient se procurer de femmes que par le rapt. Il arrivait que certains d'entre eux finissent par se créer une situation analogue à celle du père dans la horde primitive. Les fils les plus jeunes avaient naturellement une situation privilégiée, protégés qu'ils étaient par l'amour de leur mère et l'âge de leur père ; ils pouvaient ainsi plus aisément succéder à celui-ci. Il semble qu'on puisse, dans un grand nombre de légendes et de mythes, retrouver des traces de l'évincement de l'aîné et de la préférence accordée au cadet.
A ce premier stade d'organisation « sociale » succéda ensuite un autre où, sans doute, les frères chassés, groupés en communautés, s'associèrent pour vaincre leur père et - suivant la coutume de l'époque - le dévorer. Ce cannibalisme ne doit pas nous choquer ; il a survécu jusqu'en des époques bien plus tardives. Le point essentiel est que nous attribuons à ces hommes primitifs des sentiments et des émotions analogues à ceux que les recherches psychanalytiques nous ont permis de découvrir chez nos primitifs actuels et chez nos enfants, ce qui revient à dire que tout en craignant et haïssant leur père, ils le vénéraient aussi et le prenaient pour exemple. En réalité chacun aurait voulu se mettre à sa place. L'acte cannibale doit donc être considéré comme une tentative d'identification au père en s'en incorporant un morceau.
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Où Freud présente le cas Osman
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Il serait intéressant de savoir comment l'idée monothéiste a fait justement sur le peuple juif une aussi forte impression et pourquoi ce peuple y a été aussi obstinément fidèle. Je crois qu'on peut répondre à cette question. Le destin en poussant le peuple juif à renouveler sur la personne de Moïse, éminent substitut du père, le forfait primitif, le patricide lui permit de comprendre cet exploit. Le souvenir fut remplacé par l'« agir» comme il arrive si souvent au cours de l'analyse des névrosés. A la doctrine de Moïse qui les incitait à se souvenir, les Juifs réagirent en niant leur acte et se contentèrent, sans plus, de reconnaître le Père éminent. Ils s'interdirent par là d'accéder au point d'où Paul devait plus tard donner une suite à l'histoire primitive. Ce n'est pas tout à fait par hasard que la mise à mort d'un grand homme devint le point de départ d'une nouvelle religion, celle qui créa Paul. Un petit nombre seulement de disciples en Judée considérait le supplicié comme le Fils de Dieu, le Messie promis. Ultérieurement une partie de l'histoire infantile romancée de Moïse devint celle de Jésus sur le compte de qui, avouons-le, nous n'en savons guère plus que sur Moïse lui-même. Nous ignorons s'il fut réellement le grand homme que nous dépeignent les Évangiles ou s'il ne dut pas sa renommée au seul fait de sa mort et des circonstances qui entourèrent celle-ci. Paul, qui devint son apôtre, ne le connut jamais personnellement.
Le meurtre de Moïse par son peuple, crime dont Sellin a pu retrouver des traces dans la tradition et dont, chose étrange, le jeune Goethe . Il avait, sans posséder aucune preuve, admis la réalité, est indispensable à notre raisonnement et constitue un lien important entre l'événement oublié survenu à l'époque primitive et sa réapparition ultérieure sous la forme des religions monothéistes . Suivant une séduisante hypothèse, c'est le repentir du meurtre de Moïse qui a provoqué le fantasme de désir d'un Messie, revenant sur la terre pour apporter à son peuple le salut et la domination du monde qui lui avait été promise. Si Moïse a bien été ce premier Messie, le Christ devient alors son substitut et son successeur, C'est pourquoi Paul put à juste titre s'écrier en parlant au peuple : « Voyez, le Messie est réellement venu. N'a-t-il pas été tué sous vos yeux? » La résurrection du Christ acquiert ainsi une certaine vérité historique, car le Christ fut vraiment Moïse ressuscité et, derrière lui, se dissimulait le Père primordial de la horde primitive, transfiguré, il est vrai, et ayant en tant que Fils pris la place de son Père.
Le pauvre peuple juif qui, avec son habituelle ténacité, s'est obstiné à nier le meurtre de son père { alors Freud montrerait qu'il nie le meurtre du Christ, se contentant, sans plus, d'y reconnaître un Père éminent } en a été durement châtié au cours des siècles. On n'a cessé de lui jeter à la tête ce reproche : « Vous avez assassiné notre Dieu! » Et à tout prendre, cette accusation est bien fondée lorsqu'on l'interprète justement en la rapportant à l'histoire des religions ; en voici le sens exact : « Vous refusez d'avouer que vous avez assassiné Dieu (le prototype de Dieu, le père primitif et ses réincarnations ultérieures). » Il conviendrait cependant d'ajouter ceci : « Nous avons, c'est vrai, fait la même chose, mais nous l'avons avoué et depuis nous nous sommes rachetés. » Les accusations que l'antisémitisme ne cesse de porter contre les descendants des Juifs ne sont pas toutes aussi bien fondées. Un phénomène aussi intense, aussi persistant que la haine populaire contre les Juifs comporte nécessairement plus d'une cause. On devine que les motifs en sont multiples, les uns s'expliquent d'eux-mêmes, sont tirés de la réalité, tandis que les autres, plus profonds, découlent de sources secrètes qui doivent être considérées comme les causes spécifiques de l'antisémitisme. Dans le premier groupe, il faut ranger le plus fallacieux de tous les reproches, celui de demeurer partout des étrangers. Et pourtant, dans bien des régions où sévit aujourd'hui l'antisémitisme, les Juifs constituent l'un des plus anciens éléments de la population, parfois même ils s'y trouvent installés depuis plus longtemps que les habitants actuels. C'est le cas, par exemple, de la ville de Cologne où les Juifs arrivèrent avec les Romains et avant l'invasion des Germains. D'autres motifs de haine sont plus puissants encore, ainsi le fait que les Juifs se groupent généralement en minorités au sein d'autres peuples. En effet, pour qu'un sentiment de solidarité puisse être solidement établi dans les masses, il faut qu'il existe une certaine hostilité à l'égard de quelque minorité étrangère et la faiblesse numérique de cette minorité incite à le persécuter. Toutefois, deux autres particularités des Juifs sont tout à fait impardonnables : d'abord, ils diffèrent, à certains points de vue, de leurs « hôtes », non point fondamentalement puisque, quoi qu'en prétendent leurs ennemis, ils ne sont pas des Asiatiques de race étrangère, mais par quelques traits de caractère propres aux peuples méditerranéens de la culture desquels ils ont hérité. Mais ils sont différents, parfois de façon indéfinissable, des autres peuples et en particulier des nordiques et, chose étrange, l'intolérance raciale se manifeste plus volontiers à l'égard de petites différences qu'à l'égard de divergences fondamentales. La seconde particularité est plus importante encore: c'est le fait que les Juifs défient toute oppression. Les persécutions les plus cruelles n'ont jamais réussi à les exterminer. Bien au contraire, ils parviennent à s'imposer dans toutes les professions et, partout où ils peuvent pénétrer, apportent à toutes les oeuvres de civilisation un concours précieux.
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V. Points épineux
Peut-être avons-nous réussi dans le précédent chapitre à montrer l'analogie qui existe entre les processus névrotiques et les faits religieux en mettant ainsi en évidence l'origine insoupçonnée de ces derniers. Lorsque nous transposons ainsi la psychologie individuelle en psychologie collective, nous nous heurtons à deux difficultés de nature et d'importance différentes dont nous allons maintenant aborder l'examen. En premier lieu, nous n'avons étudié ici qu'un seul et unique cas parmi ceux si nombreux que nous offre la phénoménologie des religions et, de ce fait, il nous est impossible d'éclairer les autres. L'auteur avoue à regret qu'il est forcé de s'en tenir à ce seul exemple parce que ses connaissances techniques ne lui permettent pas de compléter ses recherches. Son savoir limité lui permet toutefois d'ajouter que l'instauration de la religion de Mahomet lui paraît être une répétition abrégée de la religion juive sur laquelle elle s'est modelée. Il semble que le Prophète ait d'abord projeté d'adopter, pour lui-même et pour son peuple, le judaïsme tel qu'il se présentait alors. En récupérant le grand et unique Père primitif, les Arabes acquirent une conscience d'eux-mêmes extraordinairement accrue qui leur valut de grands succès matériels, mais leur dynamisme s'y épuisa. Allah se montra bien plus reconnaissant envers son peuple élu que ne l'avait jadis été Jahvé envers le sien. Cependant, le développement interne de la nouvelle religion ne tarda pas à s'arrêter, peut-être parce qu'elle manquait de cette profondeur qu'avait donnée à la religion juive le meurtre de son fondateur. Les religions, en apparence rationalistes, de l'Orient sont essentiellement des cultes d'ancêtres et s'arrêtent ainsi à un stade précoce de la reconstruction du passé. S'il est exact que chez les primitifs actuels nous ne trouvons comme seul contenu de leur religion que le culte d'un Être suprême, nous devons considérer ce fait comme un arrêt de l'évolution religieuse et pouvons le mettre en parallèle avec ces innombrables cas de névroses rudimentaires rencontrés dans la psychologie pathologique. Pourquoi l'évolution ne s'est-elle pas poursuivie là comme ici, voilà ce que nous ne sommes pas en mesure d'expliquer. Nous pensons devoir en rendre responsables les dons individuels des peuples en question, le sens de leur activité et leur situation sociale en général. Par ailleurs, la psychanalyse s'est fait une règle de ne chercher à comprendre que ce qui existe, sans tenter d'expliquer ce qui n'est pas arrivé.
Dans ce transfert à la psychologie collective, nous nous heurtons à une seconde et bien plus grande difficulté qui implique, en effet, un nouveau problème, celui-ci essentiel. Il s'agit de savoir sous quelle forme persiste la tradition efficiente dans l'existence des peuples, question qui ne se pose pas pour l'individu chez qui elle est résolue par l'existence dans l'inconscient des traces mnésiques du passé. Revenons à notre exemple historique. Le compromis de Quadês, nous l'avons dit, se basait sur la persistance, parmi ceux qui étaient revenus d'Égypte, d'une puissante tradition. loi aucun problème ne se pose. A notre avis, une pareille tradition reposait sur le souvenir conscient des récits oraux que les gens de cette époque tenaient de leurs anciens et qui se rapportaient à deux ou trois générations antérieures seulement. Ces bisaïeux, ces trisaïeux avaient participé et assisté aux événements en question. Toutefois, faut-il généraliser et prétendre que pour les siècles ultérieurs, la tradition a toujours été fondée sur une connaissance transmise de façon normale de l'aïeul à son descendant? Nous ne saurions plus dire, comme dans le cas précédent, quels sont les gens qui conservèrent ce savoir et le transmirent oralement. Aux dires de Sellin, la tradition du meurtre de Moïse se maintint parmi les prêtres jusqu'au moment où elle trouva son expression écrite qui seule permit à Sellin de la retrouver. Mais elle ne se répandit pas dans le peuple et demeura l'apanage de quelques-uns seulement. Cette forme de transmission suffit-elle à expliquer l'effet produit ? Est-il permis d'attribuer à une tradition connue d'un petit nombre de personnes le pouvoir d'agir aussi fortement sur les masses lorsque celles-ci viennent à en prendre connaissance ? Tout porte plutôt à croire que cette foule ignorante avait déjà une vague notion de ce que seuls certains initiés savaient et qu'elle profita de la première occasion pour faire sienne la tradition.
Il devient encore plus malaisé de conclure quand nous considérons des cas analogues remontant aux époques primitives. Au cours de milliers d'années, on oublia certainement qu'il fut un jour un père primitif ayant possédé tous les caractères dont nous avons parlé et on ne se souvint plus du sort qui lui avait été réservé. Il ne nous est plus possible, comme pour Moïse, d'admettre l'hypothèse d'une tradition orale. Comment alors concevoir cette tradition et sous quelle forme peut-elle avoir subsisté?
Afin de faciliter aux lecteurs mal disposés ou mal renseignés l'étude d'une question psychologique aussi complexe que celle-ci, je leur donnerai sans plus tarder le résultat de mes investigations. Je crois que la concordance entre l'individu et la foule est presque totale sur ce point : les masses comme l'individu gardent sous forme de traces mnésiques inconscientes les impressions du passé.
Le cas de l'individu semble assez clair. La trace mnésique des événements précoces subsiste, mais subsiste dans certaines conditions psychologiques spéciales. On peut dire que l'individu connaît ce passé comme on connaît justement le refoulé. Nous nous sommes formé certaines opinions - que l'analyse confirme aisément - sur la façon dont une chose oubliée peut ensuite resurgir au bout d'un certain temps. Le matériel n'est pas anéanti, mais seulement « refoulé », ses traces mnésiques se conservent dans toute leur fraîcheur première tout en restant isolées, du fait des « contre-investissements »{ s'agit-il là de la tradition grecque - surgissant de temps en temps et plus ou moins déniés à la conscience - et du "contre-investissement" juif ? }. Sans relation avec les autres processus intellectuels, elles restent inconscientes, inaccessibles à la conscience. Parfois aussi, certaines parties du refoulé échappant au processus restent accessibles au souvenir et surgissent de temps en temps dans la conscience, mais même dans ce cas, elles demeurent isolées, comme des corps étrangers sans lien avec le reste. C'est là un phénomène qui, tout en n'étant pas fatal, se produit quelquefois, mais le refoulement peut également être total et c'est ce cas que nous allons maintenant envisager.
Le refoulé en tendant à pénétrer dans le conscient conserve sa force d'impulsion. Trois conditions sont nécessaires pour qu'il puisse atteindre son but - 1º Que la puissance du contre-investissement ait été affaiblie soit du fait de processus morbides affectant le moi lui-même, soit par suite de quelque autre répartition des énergies d'investissement au sein de ce moi ; c'est là ce qui arrive toujours pendant le sommeil. 2º Que les éléments pulsionnels liés au refoulé subissent un renforcement particulier ; les phénomènes de la puberté offrent de ce phénomène le meilleur exemple. 3º Certains événements récents peuvent parfois faire surgir des impressions et provoquer des incidents si semblables au matériel refoulé qu'ils parviennent à réveiller ce refoulé. Dans ce cas, le matériel récent se renforce de toute l'énergie latente du refoulé et ce dernier agit à l'arrière-plan de l'impression récente et avec son concours. |
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Tout cela peut paraître très compliqué, mais une fois que l'on s'est familiarisé avec cette inhabituelle façon d'envisager spatialement l'appareil psychique, il semble que la conception n'en offre plus de difficultés particulières. Ajoutons que la topographie psychique ainsi décrite n'a rien à voir avec l'anatomie du cerveau et qu'elle ne l'effleure qu'en un seul point. Certes, je ressens aussi nettement que quiconque ce que cette manière d'envisager les choses a d'insatisfaisant, ce qui tient à notre totale ignorance de la nature dynamique des processus psychiques. Nous pensons que ce qui distingue une représentation consciente d'une représentation préconsciente et cette dernière d'une représentation inconsciente ne tient certainement qu'à une modification ou peut-être aussi à une répartition différente de l'énergie psychique. Nous parlons d'investissements et de contre-investissements et notre savoir s'arrête là, nous ne sommes même pas en mesure d'établir une hypothèse de travail utile. En ce qui touche le phénomène de la conscience il nous est, du moins, permis de dire qu'il tient originairement à la perception. Toutes les perceptions dues à des excitations douloureuses, tactiles, auditives ou visuelles sont les plus aptes à devenir conscientes. Les processus cogitatifs ou ce qui leur est analogue dans le ça sont inconscients en soi et accèdent à la conscience grâce à leur connexion avec des résidus mnésiques de perceptions visuelles ou auditives, par la voie du langage. Chez l'animal, à qui le langage fait défaut, ces relations doivent être plus simples.
Les impressions causées par les traumatismes précoces de l'étude desquels nous sommes partis sont soit non traduites dans le préconscient soit bientôt ramenées, par le refoulement, à l'état de ça. Dans ce cas, leurs traces mnésiques restent inconscientes et c'est à partir du ça qu'elles agissent. Nous pensons parvenir à suivre leur destin futur tant qu'il s'agit pour elles de leurs propres expériences. Mais les choses se compliquent quand nous nous apercevons que, dans la vie psychique de l'individu, ce ne sont pas seulement les événements vécus mais aussi ce qu'il apporte en naissant, qui agissent, certains éléments de provenance phylogénétique, un héritage archaïque. De quoi donc alors est fait ce dernier? Que contient-il ? Quelles sont les preuves de son existence ?
La réponse immédiate et la mieux fondée est que cette hérédité consiste en certaines prédispositions telles que les possède tout être vivant, en faculté ou tendance à adopter un certain mode de développement et à réagir de façon particulière à certaines émotions, impressions ou excitations. Comme l'expérience nous enseigne que les individus diffèrent à ce point de vue, notre hérédité archaïque inclut ces différences qui représentent ce qu'on appelle, chez l'individu, le facteur constitutionnel. Or tous les individus, particulièrement dans l'enfance, subissent, à peu de chose près, les mêmes événements, mais tous n'y réagissent pas de la même manière et l'on se demande ainsi s'il ne conviendrait pas d'attribuer ces réactions et ces différences individuelles à l'hérédité archaïque. Ce doute doit être écarté ; le fait de la similitude n'enrichit pas notre connaissance de l'hérédité archaïque.
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FONDATION majeure du CONCEPT DE TRACE IDÉATIVES
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Cependant les recherches analytiques ont fourni certains résultats qui donnent à réfléchir. C'est d'abord l'universalité du symbolisme du langage. La substitution symbolique d'un objet à un autre (et il en va de même en ce qui concerne les actes) est sans cesse utilisée par nos enfants et leur semble toute naturelle. Comment ont-ils appris à s'en servir ? Voilà ce qu'il nous est impossible de démontrer et nous nous voyons contraints, dans bien des cas, de convenir que cet apprentissage n'a pu se faire. Il s'agit là d'une notion originelle que l'adulte oublie par la suite ; il utilise bien, à la vérité, les mêmes symboles dans ses rêves, mais sans les comprendre tant que l'analyste ne les lui a pas interprétés. Et même alors le sujet a peine à accepter l'interprétation. S'il fait usage d'une de ces phrases si communes où quelque symbolisme s'est cristallisé, il doit admettre que le sens véritable de cette phrase lui avait jusqu'alors totalement échappé. Le symbolisme, par ailleurs, ignore la diversité des langues ; les investigations montreront sans doute qu'il est doué d'ubiquité et s'avère identique chez tous les peuples. Il y a là, semble-t-il, un cas patent d'hérédité archaïque du temps où le langage n'en était encore qu'à ses débuts ; mais une autre explication encore semble possible : on pourrait dire qu'il s'agit là d'associations de pensées entre des idées formées au cours du développement historique du langage et qui, chaque fois que l'individu passe par les phases de cette évolution, se répètent en lui. Il s'agirait de l'hérédité d'une prédisposition cogitative analogue à celle d'une prédisposition pulsionnelle ; cela non plus ne saurait guère nous aider à résoudre notre problème.
Toutefois les recherches analytiques ont mis au jour d'autres données d'une bien plus grande portée que les précédentes. En étudiant les réactions aux traumatismes précoces, nous sommes fréquemment surpris de constater quelles ne tiennent pas exclusivement aux événements vécus, mais qu'elles en dévient d'une façon qui conviendrait bien mieux au prototype d'un événement phylogénique; elles ne s'expliqueraient que par l'influence de cette sorte d'événements. Le comportement d'un enfant névrosé à l'égard de ses parents quand il subit l'influence des complexes d'Oedipe et de castration présente une multitude de réactions semblables qui, considérées chez l'individu, paraissent déraisonnables et ne deviennent compréhensibles que si on les envisage sous l'angle de la phylogénie, en les reliant aux expériences faites par les générations antérieures. Il serait très intéressant de rassembler et de publier les faits auxquels je fais ici allusion. Ces faits semblent assez convaincants pour me permettre d'aller plus loin encore en prétendant que l'hérédité archaïque de l'homme ne comporte pas que des prédispositions, mais aussi des contenus idéatifs, des traces mnésiques qu'ont laissées les expériences faites par les générations antérieures. De cette manière la portée aussi bien que la signification de l'hérédité archaïque se trouveraient accrues de façon notable.
A y bien réfléchir, avouons que nous avons discuté depuis longtemps comme si la question d'une existence de résidus mnésiques des expériences faites par nos ancêtres ne se posait pas tout à fait indépendamment de la communication directe ou des effets de l'éducation, par exemple. Quand nous parlons de la persistance, chez un peuple, d'une tradition ancienne, de la formation d'un caractère national, c'est à une tradition héréditaire et non à une tradition oralement transmise que nous pensons. Tout au moins ne distinguons-nous pas entre les deux et, ce faisant, nous ne nous rendons pas compte de l'audace que cette négligence implique. Cet état de choses s'aggrave encore, il est vrai, du fait de la biologie qui, à l'heure actuelle, nie absolument l'hérédité des qualités acquises. Avouons, en toute modestie, que malgré cela, il nous paraît impossible de nous passer de ce facteur quand nous cherchons à expliquer l'évolution biologique. Il est vrai que les deux cas ne sont pas tout à fait identiques ; dans l'un, il s'agit de qualités acquises difficiles à concevoir, dans l'autre, de traces mnésiques d'impressions du dehors, c'est-à-dire de quelque chose de presque concret. Mais sans doute nous est-il, au fond, impossible d'imaginer l'un sans l'autre. En admettant que de semblables traces mnésiques subsistent dans notre hérédité archaïque, nous franchissons l'abîme qui sépare la psychologie individuelle de la psychologie collective et nous pouvons traiter les peuples de la même manière que l'individu névrosé. Tout en admettant que nous n'avons comme preuves de ces traces mnésiques dans notre hérédité archaïque que les manifestations recueillies au cours des analyses, manifestations qui doivent être ramenées à la phylogenèse, ces preuves nous paraissent cependant suffisamment convaincantes pour nous permettre de postuler un pareil état de choses. S'il n'en est pas ainsi, renonçons donc à avancer d'un seul pas dans la voie que nous suivons, aussi bien dans le domaine de la psychanalyse que dans celui de la psychologie collective. L'audace est ici indispensable.
Ce postulat nous amène plus loin encore: en l'adoptant nous diminuons la largeur du gouffre que l'orgueil humain a jadis creusé entre l'homme et l'animal. Si ce qu'on appelle l'instinct des bêtes, cet instinct qui leur permet de se comporter dans une situation nouvelle comme si elle leur était déjà familière, peut être expliqué, ce sera de la façon suivante : les animaux profitent dans leur nouvelle existence de l'expérience acquise par leur espèce, c'est-à-dire qu'ils gardent en eux-mêmes le souvenir de ce qu'ont vécu leurs ancêtres. Chez l'animal humain, les choses se passent sans doute de la même façon. Son hérédité archaïque, bien que différente par son expansion et son caractère, correspond aux instincts des animaux. |
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Ceci étant posé, je n'hésite pas à affirmer que les hommes ont toujours su qu'ils avaient un jour possédé et assassiné un père primitif.
Deux autres questions se posent encore : dans quelles conditions un semblable souvenir pénètre-t-il dans l'héritage archaïque? Dans quelles circonstances devient-il actif et passe-t-il,sous une forme il est vrai altérée et déformée, de l'état inconscient à l'état conscient? La première réponse se donne aisément : le souvenir passe dans l'hérédité archaïque quand l'événement est important ou quand il se répète assez souvent ou quand il est à la fois important et fréquent. Dans le cas du meurtre du père, les deux conditions se trouvent remplies. En ce qui concerne la seconde question, observons que nombre d'influences peuvent jouer dont toutes ne sont pas nécessairement connues ; comme c'est le cas dans certaines névroses, une évolution spontanée est également possible. Toutefois, toute répétition récente et réelle de l'événement a une importance décisive parce qu'elle en fait revivre les traces mnésiques oubliées. Le meurtre de Moïse constitua justement une répétition de ce genre, comme aussi, plus tard, le meurtre du Christ après une procédure soi-disant judiciaire, de sorte que ces événements passèrent au premier plan en tant que causes premières. Il semble que sans eux, la genèse du monothéisme n'eût pas été possible et l'on songe aux paroles du poète : « Ce qui est destiné à vivre éternellement dans les chants doit d'abord sombrer dans l'existence . »
Pour conclure, j'ajouterai une remarque d'où découle un argument psychologique. Une tradition qui ne se fonderait que sur des transmissions orales ne comporterait pas le caractère obsédant propre aux phénomènes religieux. Elle serait écoutée, jugée et éventuellement rejetée, comme toute autre nouvelle du dehors. Jamais elle n'aurait le privilège d'échapper à la contrainte du mode de penser logique. Il faut qu'elle ait subi le destin du refoulement, l'état d'inconscience, avant d'être en mesure de produire, lors de son retour, des effets aussi puissants et avant de contraindre les masses, comme nous l'avons observé à notre grand étonnement et jusqu'ici sans le comprendre, à plier sous le joug religieux. Et ces considérations font pencher la balance en faveur de l'idée que les choses sont bien telles ou à peu près telles que nous avons tenté de les décrire.
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Par le texte de Freud offert à l'analyse
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Deuxième partie
Avant de poursuivre cette étude, je me sens obligé de présenter au public à la fois des excuses et des explications. Cette suite n'est, en effet, qu'une répétition fidèle et souvent littérale de la première partie, toutefois quelques recherches critiques ont été abrégées et certaines observations, relatives au problème de la formation du caractère du peuple juif, ajoutées. Je sais que cette façon de présenter un sujet est à la fois inefficace et antiartistique et je la réprouve tout à fait. Pourquoi alors n'avoir pas évité cette erreur? Ma réponse, tout en exigeant un aveu assez pénible, est prête d'avance : je ne suis pas parvenu à effacer les traces qu'y a laissées la façon vraiment étrange dont ce livre fut composé.
En réalité, il a été écrit deux fois. D'abord, il y a quelques années à Vienne où je jugeai impossible de le publier. Je décidai de le laisser de côté mais, telle une âme en peine, il ne cessait de me hanter. Alors je fis un compromis en le publiant en deux parties dans la revue Imago. Il s'agissait du point de départ de l'œuvre entière : Moïse, un Égyptien, et de l'essai historique basé sur cette première partie : Si Moïse fut égyptien... Le reste de l’œuvre comportait des thèses choquantes et dangereuses, à savoir les considérations relatives à la genèse du monothéisme et mon interprétation de la religion, aussi le gardai-je par devers moi, me figurant qu'il ne pourrait jamais être publié. Puis se produisit inopinément, en mars 1938, l'invasion allemande qui me contraignit à quitter ma patrie tout en me libérant de mes craintes de voir jeter l'interdit sur la psychanalyse dans un pays où on la supportait encore, dans le cas où j'aurais publié mon travail. A peine débarqué en Angleterre, je fus irrésistiblement tenté de rendre accessible à l'univers mon savoir dissimulé et j'entrepris de remanier la troisième partie destinée à faire suite aux deux autres déjà publiées, ce qui naturellement, nécessita un regroupement partiel de mon matériel. Dans cette deuxième élaboration, cependant, je ne parvins pas à caser toutes mes données et, d'autre part, je ne pus me résoudre à renoncer tout à fait à mes deux premières publications. C'est pourquoi toute une partie de ma première version fut reliée à l'autre, ce qui eut pour résultat de nombreuses répétitions.
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Telle est donc notre conclusion, mais bien que nous n'en voulions rien rétracter, nous ne nous dissimulons guère qu'elle n'est pas totalement satisfaisante. La cause ne s'accorde pour ainsi dire pas avec le résultat. Le fait que nous tentons d'expliquer semble différer, par son ordre de grandeur, des motifs que nous découvrons. Il se peut que l'ensemble des recherches faites jusqu'ici n'ait pas encore permis de découvrir tous ces motifs mais seulement une partie superficielle de ceux-ci. Ne se dissimulerait-il pas, là derrière, un facteur très important? Étant donné l'extrême complexité de toutes les causations dans la vie et dans l'histoire, il faut bien s'attendre à quelque chose de ce genre. L'accès vers ces motifs plus profonds nous est ouvert dans un certain passage de l'exposé ci-dessus. La religion de Moïse n'a pas eu d'effets immédiats, mais a agi, au contraire, de façon curieusement indirecte. Je n'entends pas dire par là que ces effets aient été tardifs, qu'elle ait mis longtemps, plusieurs siècles, à en achever la production, ce qui va de soi quand il s'agit du caractère d'un peuple. Non, notre remarque s'applique à un fait historique de la religion judaïque ou, si l'on préfère, à un fait que nous avons inséré dans cette histoire. Nous avons dit qu'au bout d'un certain temps, le peuple juif rejeta à nouveau la religion de Moïse, mais nous ne pouvons spécifier si ce fut en totalité ou si quelques-unes des prescriptions du prophète furent maintenues. En admettant que pendant la longue période de temps où s'acheva la conquête de Canaan et où se poursuivirent les luttes contre les peuples déjà installés dans le pays, la religion de Jahvé ne différa pas essentiellement de celle de Baal, nous restons sur le terrain historique et cela malgré toutes les tentatives tendancieuses faites ultérieurement pour dissimuler ce honteux état de choses. Toutefois la religion de Moïse n'avait pas disparu sans laisser de traces ; il en était demeuré une sorte de souvenir obscur et déformé, peut-être conservé chez certains membres du clergé par d'anciens documents. Et c'était cette tradition d'un grand passé qui continuait à agir à l'arrière-plan, prenant toujours plus d'empire sur les esprits. Finalement elle réussit à transformer le Dieu Jahvé en Dieu de Moïse et à ranimer, après plusieurs siècles d'abandon, la religion instituée par ce dernier. Dans un chapitre précédent de ce livre nous avons formulé une hypothèse qui semble inéluctable quand on cherche à comprendre ce que la tradition a pu ici réaliser. |
DWT
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