Un texte sans blanc
On parle en astro-physique de masse sombre - plus de 80% de la masse de l'univers, imperceptible pourtant et totalement mystérieuse. La Littérature Grise - la "LG"... c'est tout à fait d'autre chose ! quoiqu'on puisse exploiter leur comparaison : en volume, quantité, la LG constitue la plus grande part de la littérature - mais on la détecte mal, on la définit encore moins bien. Seule une littérature idéale à l'inverse de la littérature grise présente à nos yeux de la valeur. La comparaison s'arrête là ; aujourd'hui on pressent une fonction spécifique à la LG : il s'agit de la mémoire. Cette référence permet de théoriser le sort de la LG.
La LG ne présente pas ce risque de fourbir une fausse mémoire; sans prétendre à la mémoire, elle en constitue la masse - l'essentiel de sa masse. Ce dont j'aimerais traiter ici, c'est de notre comportement vis à vis de la mémoire. Je me souviens m'être enquis lors de voyages ethnologiques en amérique du nord, sur la mémoire que les indigènes défunts avait laissée à leurs descendants actuels - je m'explique : les européens qui ont migré pour faire les USA étaient des gens qui savaient un peu lire et écrire, ils allaient en famille avec un chariot, construisait une maison, mourraient. Dans les villages je demandais si les familles actuelles avaient des écrits, des carnets, des recommandations que leurs aïeux avaient laissé. Eh! bien, rien du tout ! l'indigence du legs de la mémoire individuelle, populaire (tranchant avec aujourd'hui la passion d'écrire des blogs).. cette indigence est remarquable. Ces colons avaient aucun soucis de laisser le moindre mot subsistant de leur vie. On dirait que la préoccupation de laisser une mémoire est proche de zéro. Évidemment on tient à se reproduire, à laisser des enfants et des petits enfants ; mais un comportement aussi opposé que manifeste, probablement associée à quelque complexe de culpabilité, donne l'apparence d'une haine profonde de la mémoire qui résume une vie. A la découverte de la LG, on découvre d'abord que ce n'est pas un sujet attire beaucoup d'intérêt ; certes il y a des spécialistes, mais bien peu. Pourtant, c'est à peu près 80% de la masse de la littérature. Ne revenons pas à l'astro-physique mais, en tenant l'idée de la mémoire, passons à la biologie. Non seulement les personnes se soucient peu de conserver leur histoire - mais lorsqu'une histoire est écrite, nous constatons l'étonnant sort du témoignage. On en fait un mythe. Nous avons l'exemple d'Oedipe. Le mythe d'Oedipe est probablement une histoire 'vraie'. C'est une probabilité sinon une évidence, que nous refusons d'envisager. De ce point de vue, on a l'impression qu'on ne s'intéresse nullement au corps. Ce qui a été vivant, l'essentielle biologie de la personne semble être l'objet d'un rejet, peut-être d'une haine profonde.
C'est pourquoi nous nous demandons : quel est le corps réel d'Oedipe, ou par exemple encore, de Trismégistes ? Avons-nous la même répugnance, ou la même indifférence, la même ignorance du corps d'Oedipe que nous ignorons, négligeons, oublions la LG ? Il y a des jours et des jours, je déduisais dans une conférence que la LG était le corps. Faut-il se demander si le corps est LG ? Comment peut-on se demander une chose pareille lorsque l'on a fait l'amour avec une jolie femme, ou que l'on a lu un beau livre ? DWT
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