Le clonage humain est-il un crime contre
l'humanité ?*
Gérard HUBER
Docteur en psychopathologie clinique et psychanalyse
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Introduction
Allons-nous vers l'énoncé de droits de l'espèce humaine ?
Dans
un débat avec Albert Einstein, Sigmund Freud définit le droit comme "puissance
d'une communauté", qui s'oppose à la violence brute ou appuyée sur l'intellect.
Son expression la plus haute est la loi.
Pour
ce qui concerne la violence physique, le " crime contre l'humanité " a été
décrit en 1947, lors du Tribunal de Nuremberg, comme " l'assassinat,
l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout autre acte
inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre,
ou les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque
ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit
interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout
crime rentrant dans la compétence du tribunal ou en liaison avec ce crime ".
De
son côté, l'article 5 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (1948)
(qui ne nomme pas le crime contre l'humanité), repris dans la Convention de
sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, stipule que "nul
ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants". Il est précédé par l'article 4 qui proscrit l'esclavage : "nul ne
sera tenu en esclavage ni en servitude; l'esclavage et la traite des esclaves
sont interdits sous toutes leurs formes".
Pour
ce qui est de la violence de l'intellect, seule la Déclaration de 1948 est
explicite. C'est ainsi que l'article 8 proclame que "toute personne a droit à la
liberté de pensée, de conscience et de religion ou de conviction...", et
l'article 19 à la liberté d'opinion et d'expression. Mais, il n'est nulle part
envisagé qu'une violence de l'intellect puisse être un crime contre l'humanité.
Néanmoins,
posons-nous la question suivante : pourquoi cette différence entre le jugement
du Tribunal de Nuremberg (1947) et la Déclaration de 1948 ? Parce que la
recherche -liberté de pensée s'il en est - et les traitements médicaux, n'ont
jamais été considérés comme incompatibles avec les pratiques -dites inhumaines-
parce que relevant de l'esclavage et de la soumission ou parce qu'exerçant des
violences. Le seul fait que la médecine se référait au Serment d'Hippocrate qui
affirme que "même sous la menace, je n'admettrai pas de faire usage de mes
connaissances médicales contre les lois de l'humanité", et qu'elle progressait
"pour le bien de l'humanité", excluait tout approfondissement de la question,
jusqu'à ce qu'en 1947, les expérimentations biomédicales cliniques deviennent, à
leur tour, l'objet d'un encadrement nouveau.
1947,
c'est la date de la fin du procès de Nuremberg, au cours duquel les exactions,
atrocités et massacres commis par les nazis ont été jugées non seulement sur le
plan militaire, moral et politique, mais également sur le plan de l'utilisation
de la science et de la médecine. Jamais auparavant, l'on ne s'était demandé si
médecine et esclavage ou mise à mort pouvaient fonctionner ensemble. Or, l'on
s'était rendu compte que l'organisation politique du 3ème Reich avait utilisé la
biologie et la médecine dans le sens d'une justification de l'asservissement
total de l'homme par l'homme. Ce n'est pas le lieu de développer l'aspect
historique de cette question. Aussi conseillerai-je de se reporter aux livres De
Benno Müller-Hill, "Science de vie, science de mort"12,
et de John Lifton, "Les Médecins nazis"13,
qui sont trés éclairants.
Le
résultat est que même les médecins et les chercheurs, qui n'ont jamais accepté
et n'accepteront jamais d'être au service de la servitude ou de l'esclavage, se
sentent, désormais interpellés, du fait qu'ils ne peuvent plus ignorer le risque
de violence, appuyée sur cette forme d'intellect qu'est la technoscience
biomédicale, violence potentielle que recèlent les situations de la recherche et
du traitement médicaux, lorsque ceux-ci sont mis en place, à l'encontre de la
volonté du patient.
On
voit en quoi, si l'on se réfère à ces définitions, l'expression " crime contre
l'humanité " est inadéquate au clonage humain.
Par
ailleurs, il faut prendre acte de la nouveauté, introduite par la biologie, et
notamment la biologie moléculaire et la génétique, à savoir la distinction entre
espèce humaine et humanité, à partir du moment où l'humanité détient les moyens
scientifiques et techniques de modifier l'espèce humaine. Le respect de l'"
espèce humaine " ne figure, pas dans la Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme, pour la bonne et simple raison qu'espèce humaine et humanité étaient
alors conceptuellement identiques. Mais, elle figure dans la loi française de
1994 et dans le Code pénal.
La
radicalisation de la position de la loi française conduit donc à cette
interrogation : faut-il désormais concevoir et formuler des droits de l'espèce
humaine à respecter qui seraient distincts des droits de l'humanité ? Deux
avancées biologiques conduisent à se poser cette question.
La
première est la voie de recherche et de traitement expérimentaux que l'on
appelle la "thérapie génique". La seconde est le clonage humain.
Commençons
par la première. Tant que cette thérapie, qui n'en est qu'à ses commencements,
et consiste notamment à substituer un gène sain à un gène déficient dans
l'organisme, ne concerne que l'individu qui souffre d'une maladie incurable par
d'autre moyen, elle demeure dans le cadre de la superposition entre humanité et
espèce humaine. Mais, à partir du moment où l'on envisage de développer une
thérapie génique dont l'effet n'est pas limité à cette personne mais s'étend à
sa descendance, à qui elle transmettra sa part de génome préalablement modifié,
on intervient directement dans le devenir de l'espèce humaine. Telle est la
distinction entre "thérapie génique somatique", la première et "thérapie génique
germinale",la seconde.
La
première est dite somatique, parce que la modification s'effectue au niveau des
organes, la seconde est dite germinale, parce qu'elle s'effectue au niveau des
cellules sexuelles. A la différence de la thérapie génique, dont les premiers
essais ont eu lieu aux Etats-Unis, auprès d'une enfant qui était atteinte d'une
forme incurable de cancer, et qui se porte mieux depuis, le clonage humain n'est
pas encore une réalité. Rappelons que le clonage est d'abord et avant tout une
technique de duplication. Théoriquement, il existe deux sortes de clonage humain
radicalement différentes l'une de l'autre : La technique peut, en effet, être
appliquée soit à une cellule soit à un œuf fécondé.
Le
clonage cellulaire consiste à reproduire une cellule sans recours à un
spermatozoïde et sans fécondation. Une cellule adulte somatique (qui a une
fonction spécifique au niveau d'un organe, par exemple de peau) est prélevée
chez un mammifère. On lui ôte son enveloppe cytoplasmique et l'on conserve le
noyau dans lequel se trouvent les chromosomes. Elle est placée dans une
éprouvette, où se trouve également un ovule d'un autre mammifère dont on a ôté
le noyau et gardé seulement le cytoplasme. Par électro-stimulation, ce noyau et
ce cytoplasme fusionnent et deviennent une nouvelle cellule, qui existe au stade
antérieur à toute spécialisation. Il s'agit d'un embryon -in vitro- obtenu sans
fécondation. Au bout de quelques jours, cet embryon est implanté dans un utérus
de mammifère, qui, au terme de quelques mois, devient un petit, doté de la même
constitution génétique que le mammifère dont on a prélevé la cellule et dont on
a gardé le
noyau.
Le
clonage d'un œuf fécondé in vitro avec spermatozoïde et ovule consiste par
division embryonnaire à extraire le noyau de chacune des cellules de l'œuf et à
les implanter dans des cytoplasmes d'ovules receveurs préalablement vidés de
leur propre noyau. Alors, les huit œufs se divisent à leur tour, donnant huit
embryons que l'on implante alors dans plusieurs utérus de mères porteuses. Les
petits qui naîtront auront, comme tous les petits, une constitution génétique
transmise par un père et une
mère.
Pour
le sujet de la loi, qui se trouve devant une nouvelle réalité scientifique et/ou
thérapeutique, supposant la modification de l'espèce humaine, la question semble
être la suivante : la loi, telle qu'elle existe, pare-t-elle à toutes les
éventualités d'atteinte à la dignité humaine, qui pourraient être induites par
cette nouvelle réalité ? Cette question est encore plus difficile, lorsque cette
réalité n'en est encore qu'au stade du possible. C'est pourquoi, le sujet de la
loi doit distinguer le possible du fantasmatique, c'est-à-dire ce qui, d'avoir
été un fantasme, est tout près de devenir une réalité scientifique et technique,
et ce qui est et demeure un fantasme.
Enfin,
un autre élément complique trés sérieusement l'analyse. En effet, il se peut
très bien que ce qui est fantasme à un moment donné, faisant l'objet d'une
condamnation, doive sa réalisation ultérieure au fait que la loi a laissé les
artisans de ce fantasme progresser suffisamment vers son passage à la réalité.
Autrement
dit, la loi ne peut prévenir, elle peut seulement faire et faire respecter la
loi. Mais, elle est de plus en plus conduite à réfléchir sur "le " passage du
fantasme à la réalité ".
En
France, il y a treize ans, lorsque les premiers rapports relatifs aux nouveaux
développements de la médecine biologique ont été réalisés par des juristes, à la
demande des autorités du pays, il y avait des partisans d'une législation sur la
totalité des applications réelles, possibles et fantasmatiques des techniques
non naturelles de procréation humaine et il y avait des partisans d'une loi qui
n'engloberait que ce qui était de l'ordre du réel et du possible.
Comme
le Législateur n'est pas un " enfant de cœur ", il a pensé que l'essentiel était
pour lui d'énoncer un certain nombre de principes cohérents avec la doctrine, et
de décliner des sanctions relatives à toutes les transgressions. C'est ainsi que
le Conseil Constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les lois de
1994 relatives au respect du corps humain et la loi relative au don et à
l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale,
à la procréation et au diagnostic prénatal, au nom des principes suivants :
primauté de la personne humaine, respect de l'être humain dès le commencement de
la vie, l'inviolabilité, l'intégrité et l'absence de caractère patrimonial du
corps humain ainsi que l'intégrité de l'espèce humaine, et respect du principe
constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.
En
France, il n'existe pas de texte de loi interdisant de manière claire et
distincte la reproduction par division embryonnaire ou par transfert nucléaire.
Mais, nombreux sont ceux qui considèrent que le chapitre II "du respect du corps
humain" de la loi du 20 juillet 1994 encadre insuffisamment les applications de
la biologie. L'article 16-4 proclame, en effet : "Nul ne peut porter atteinte à
l'intégrité de l'espèce humaine. Toute pratique eugénique tendant à
l'organisation de la sélection des personnes est interdite. Sans préjudice des
recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques,
aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le
but de modifier la descendance de la
personne".
Pourquoi
cette entrée du concept de l'espèce humaine dans la loi ? Parce que le
législateur a voulu aller plus loin que protéger l'intégrité du corps
humain.
De
fait, il s'agit surtout de respecter la diversité génétique, en interdisant la
sélection par le sexe et sur des critères physiques ou "raciaux" (je mets "
raciaux " entre guillemets, car je pense qu'il faut retirer le mot " race " de
la constitution française et de tout texte de loi, étant donné que la " race "
n'existe
pas).
Il
s'agit également de se prémunir contre toutes manipulations génétiques qui
pourraient altérer les caractéristiques essentielles de l'espèce humaine.
Ce
disant, en 1994, le législateur pensait essentiellement aux thérapies géniques,
c'est-à-dire à ces interventions thérapeutiques sur le génome humain qui sont
censées pouvoir modifier le génome d'une personne gravement malade, dans le but
de la soigner, mais qui ne doivent en aucun cas se traduire par une transmission
de la modification par gamète interposé, pour le cas où cette même personne se
reproduirait après avoir été soignée. Visiblement, il n'a pas jugé utile de
mentionner le clonage humain, parce que cette technique tombait "inévitablement"
sous le coup de l'interdiction.
Aussi,
les Académies de médecine, de pharmacie, des sciences, le Comité Consultatif
National d'Ethique/CCNE et les Conseil Nationaux des Ordres des Médecins et des
Pharmaciens ont-elles déclaré, le 15 mai 1997, que
:
"Ils
condamnent de manière véhémente, catégorique et définitive, toute méthode
tendant à la reproduction à l'identique d'une personne humaine, c'est-à-dire
tout clonage à visée
reproductive.
Ils
demandent au législateur qu'un texte complémentaire, interdisant tout clonage
reproductif sur l'homme soit introduit dans le Code de la santé publique à
l'occasion de la révision des lois de bioéthique, prévue en 1999.
Ils
demandent que toute initiative soit prise tant au plan européen que mondial pour
proscrire le clonage reproductif".
Cette
position n'est pas exactement identique à celle que le CCNE a exprimée, alors
qu'il était saisi par le Président Chirac. Le CCNE souligne, en effet, que,
quand bien même l'article 16-4 des lois de bioéthique de 1994 ne nomme pas le
clonage humain, il indique cependant clairement que le législateur le bannit :
d'autres articles de loi interdisent son émergence : l'article L.152-8 qui
l'interdit de procéder à une conception in vitro d'embryons à des fins de
recherche ou d'expérimentation, l'article L 152-8 qui interdit d'expérimenter
sur l'embryon, l'article Les articles L 152-1 à L 152-3 qui limite l'assistance
médicale des personnes et couples stériles aux seules techniques de procréation.
Mais, ces interdictions ne sont qu'implicites. C'est pourquoi, une intervention
nouvelle du Législateur se justifierait à des fins d'explicitation. Surgit alors
un argument trés curieux : en effet, le Comité devient soudain trés hésitant,
parce que l'explicitation conduirait nécessairement à l'adjonction d'un nouvel
interdit spécifique, qui risquerait d'affaiblir la portée générale des
principes, notamment ceux de l'article
16-4.
On
reste donc confondu devant un tel jugement. En effet, soit il y va de la
modification de l'espèce humaine, et alors un interdit du clonage humain
s'impose pour renforcer les principes, suivi d'autres, plus tard, si nécessaire,
soit l'interdit ne s'impose pas, mais alors ce sont les principes qui non
seulement ne sont pas affaiblis par le clonage, mais n'ont même pas lieu d'être
énoncés.
Tout
indique que le CCNE n'a pas pris la mesure de ce que signifie l'entrée de la
question de l'espèce humaine dans la loi.
Je
partage l'idée que le premier des principes législatifs des textes de loi qui
encadrent le développement des sciences et des techniques biomédicales est la
primauté de la personne humaine dans son individualité propre, au regard de quoi
l'idée d'humanité est parfois un simple rideau rouge dissimulant le non-respect
de cette primauté. Mais cela ne doit pas nous détourner d'une autre question,
qui ne concerne plus seulement l'humanité comme telle, mais l'humanité en tant
qu'elle prend en charge le destin de l'espèce humaine. Ce destin est-il ou non
en train de se modifier ? Ne revient-il pas au législateur, non seulement
national, bien entendu, mais mondial -à condition qu'il se constitue comme tel-,
de légiférer sur l'interdiction ou sur l'autorisation de cette modification
?
"Convaincus
de la nécessité de respecter l'être humain à la fois comme individu et dans son
appartenance à l'espèce humaine et reconnaissant l'importance d'assurer sa
dignité" : telle est une partie du Préambule à la Convention pour la protection
des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des
applications de la biologie et de la médecine -Convention sur les droits de
l'homme et la biomédecine-, adoptée le 19 Novembre 1996 par le Comité des
ministres du Conseil de l'Europe. "Comme individu et dans son appartenance à
l'espèce humaine". Ainsi que le rappelle Sigmund Freud, dans Pour introduire le
narcissime, "l'individu, effectivement, mène une double existence : en tant
qu'il est lui-même sa propre fin, et en tant que maillon d'une chaîne à laquelle
il est assujetti contre sa volonté ou du moins sans l'intervention de celle-ci.
Lui-même tient la sexualité pour l'une de ses fins, tandis qu'une autre
perspective nous montre qu'il est un simple appendice de son plasma germinatif,
à la disposition duquel il met ses forces en échange d'une prime de plaisir,
qu'il est porteur mortel d'une substance -peut-être immortelle- comme l'aîné
d'une famille ne détient que temporairement un majorat qui lui survivra".
Dans
le langage de la biologie du XIXè, l'espèce est cette chaîne de plasmas
germinatifs qui assurent sa reproduction et sa perpétuité. Plus près de nous,
c'est, selon le biologiste Ernst Maÿr, un groupe de populations naturelles à
l'intérieur desquels les individus sont réellement (ou potentiellement) capables
de se croiser. Comme depuis Gregor Mendel, nous savons que la reproduction d'un
organisme vivant suppose le croisement de deux ensembles de gènes appartenant
respectivement à deux organismes originaires de sexe différent, ce qui définit
l'essentiel de l'espèce, c'est donc son mode de reproduction sexuée biparentale.
Dans
ce contexte, l'on comprend que si le clonage humain par transfert de noyau et à
partir d'un seul organisme peut être à l'origine de la reproduction asexée d'un
être humain, il met en question la définition même de l'espèce humaine par
l'interfertilité sexuée. Il y a donc solidarité conceptuelle entre la définition
de l'espèce humaine et l'interdiction du clonage
humain.
Ce
n'était pas le cas avant, c'est-à-dire à l'époque où la perspective du clonage
humain ne se présentait pas sous une forme scientifique et technique. Pendant
longtemps, le débat entre les hommes a seulement porté sur l'existence ou la
non-existence de races humaines, qui fonctionnaient dans la tête comme des
subdivisions de l'espèce humaine. Les uns prétendaient que l'espèce humaine
était une et indivisible, tandis que les autres affirmaient qu'elle était
morcelée en races dites supérieures et races dites inférieures.
Pour
autant, les premiers n'étaient pas forcément anti-racistes; quant aux seconds,
ils n'avaient pas nécessairement besoin de recourir à l'idée d'une existence
biologique de l'espèce humaine pour instaurer la discrimination raciale.
Les
données du débat montraient donc clairement que l'essentiel se situait dans la
décision des uns et des autres d'être favorables ou défavorables à une mise à
l'écart ou à une élimination de certaines populations par une autre (celle à
laquelle on appartenait de
préférence).
Comme
on sait, ces données sont loin d'avoir disparu. Les historiens de la pensée
peuvent se pencher avec curiosité et, parfois, horreur, sur les fausses
combinaisons et enchaînements utilisés par les racistes pour justifier leur
volonté d'exclusion, et avec agacement et, parfois, crainte, sur les
incohérences qui habitent certains discours et pratiques qui se veulent
anti-racistes.
Mais,
tandis que ce débat poursuit sa route, un autre, sur l'espèce humaine,
intervient presqu'en silence, apporté par l'interrogation que rendent désormais
possible les nouvelles connaissances biologiques (immunologiques, reproductiques
(procréations et reproductions asexuées, génétiques et neurobiologiques
notamment) sur l'homme, et leurs applications réelles ou potentielles.
Pour
ce qui concerne l'immunologie, nous savons qu'il est désormais possible de
recourir aux transplantations xénogéniques -ou interespèces- pour pallier au
manque d'organes. Ainsi, le Professeur Alain Carpentier a constaté dès 1992
qu'un rein de chimpanzé a fonctionné neuf mois chez un homme, et un cœur de
babouin quatre semaines chez un nouveau-né. Des greffes de valves cardiaques
animales préalablement conditionnées sont, quant à elles, bien tolérées chez
l'homme. Depuis, d'autres avancées ont eu lieu. Il y a donc passage possible
d'une espèce animale à l'autre.
Sur
le plan moléculaire, la biologie a, pour sa part, constaté l'universalité du
code qui fait fonctionner les génomes de tous les êtres vivants.
Dans
le domaine des techniques de reproduction, nous avons vu qu'il était possible
d'assurer la reproduction de certains animaux par clonage, c'est-à-dire sans
passer par la
sexualité.
Enfin,
selon la neurobiologie, "aucune catégorie cellulaire, aucun type de circuit
particulier n'est propre au cortex cérébral de
l'homme".
Aussi
le cours nouveau de la biologie accuse-t-il l'idée que la spécificité de
l'espèce humaine tient davantage à la décision de ses membres de vivre selon le
critère de leur appartenance à un ensemble dans lequel ils se reconnaissent,
qu'à telle ou telle spécificité biologique. Cette décision consiste à constituer
une humanité dont l'essence est d'attribuer à chaque être humain une
dignité.
Aussi,
à moins de considérer l'humanité comme une espèce biologique définie par son
mode de procréation, force est de reconnaître que, quels que soient ou pourront
être les caractéristiques de conception, de naissance et de développement d'un
être issu de membres de l'espèce humaine, il est nécessairement digne et membre
de
l'humanité.
Ou
bien alors, en brandissant la menace d'une atteinte portée à l'intégrité de
l'espèce humaine, du fait d'une modification de la conception de certains de ses
membres, on se prépare d'ores et déjà à distinguer plusieurs espèces, l'une
procréée, l'autre clonée, cette dernière n'étant plus appelée humaine. Il
s'agirait alors de préparer une nouvelle forme de discrimination -du type du
crime contre l'humanité-entre les dignes (les procréés) et les indignes (les
clonés).
Rompre
avec cette logique supposerait d'abandonner le point de départ du raisonnement,
la définition de l'espèce par l'interfertilité sexuée et d'en venir à une
définition seulement morphologique, c'est-à-dire se référant à la seule
apparence de l'être humain, L'espèce humaine se définirait par la seule
ressemblance morphologique. Par un autre tour de vis, cela n'irait pas sans
poser de problèmes, étant donné que c'est justement la reproduction à dessein
d'êtres qui se ressemblent comme deux jumeaux qui posent problème au droit, du
fait que la substitution de l'un par l'autre, ou l'attribution d'un fait par
l'un à l'autre, ne manqueraient pas de devenir sources d'inégalités potentielles
devant la loi.
Le clonage humain est-il un crime contre l'humanité ?
Ayant
posé la question d'une distinction entre " droits de l'espèce humaine " et "
droits de l'humanité ", j'en viens, à présent, à la confrontation du clonage
humain avec le crime contre l'humanité. Le débat qui s'instaure ne porte pas sur
une hypothèse d'école. Il a été introduit par l'entrée du principe du respect de
l'intégrité humaine dans la loi française et porte sur la question suivante : le
clonage humain est-il un crime contre l'espèce humaine, un crime contre
l'humanité, ou un non-crime
?
Une
première position consiste à le considérer comme un crime contre l'espèce
humaine, dans la mesure où il porte atteinte au principe de sa perpétuation,
mais pas comme un crime contre l'humanité, dans la mesure où les êtres
éventuellement clonés sont contenus dans le cadre de l'humanité.
Une
deuxième position en tire les leçons et pense que ce n'est pas à proprement
parler un crime, ni contre l'espèce humaine ni contre l'humanité.
Inversement,
une troisième position est de le considérer comme un crime contre l'espèce
humaine, si l'humanité se réduit à n'être qu'un sujet qui se prend en charge
comme tel, et dans ce contexte, il est également un crime contre l'humanité, les
êtres vivants humains clonés en étant
exclus.
Aux
termes de ce débat doivent s'ajouter d'autres considérations sur la naissance et
la
conception.
En
effet, tant qu'on réfère le clonage humain à la création d'un enfant à naître,
il ne peut être considéré au sens strict comme un crime contre l'humanité. En
effet, comme le remarque André Froissard, par-delà la violence physique,
l'essence du crime contre l'humanité consiste à mettre à mort un être humain,
sous le prétexte qu'il est né. Or les partisans du clonage ne le présente
pas comme une mise à mort, mais comme une aide à la conception et attribue à
l'être cloné un droit à
naître.
Par
ailleurs, pour aborder la question du clonage humain dans de bonnes conditions
intellectuelles, il convient de tenir compte de l'obsolescence de la référence
du premier article de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme qui fonde
la liberté et l'égalité sur la naissance.
Les
nouvelles techniques de procréation ont fait remonter le problème en amont, nous
sommes passés de la naissance à la
conception.
C'est
donc dès la conception que la liberté et l'égalité sont attestées, ce qui
signifie que l'être humain cloné participerait des mêmes principes que l'être
humain
procréé.
Autant
dire que l'humanité contient plus que l'espèce humaine biologique se prenant
pour
sujet.
Nous
en arriverions donc à cette idée que le clonage humain n'est pas un crime contre
l'humanité, et qu'il doit seulement être encadré législativement au même titre
que toute autre méthode d'assistance médicale à la procréation, à charge, pour
le législateur, qui représente une société qui s'y oppose, de le rendre
impraticable, et passible de sanctions extrêmement lourdes pour des raisons
objectivement
démontrées.
Mais
nous ne pouvons nous satisfaire de cette argumentation, pour la bonne et simple
raison que l'expérimentation en laquelle le clonage humain consiste, passerait
nécessairement par l'horreur du crime contre l'humanité pour être réalisée.
Et
du crime contre l'humanité, il n'y a à attendre aucune connaissance ni aucun
soin, comme l'ont montré les crimes nazis, mais seulement une destruction
systématique de toute humanité.
Exposons notre raisonnement.
Le
clonage humain réalisé par les chercheurs sud-coréens, à la fin de l'année
dernière, révèle les aspects immoraux d'une telle entreprise : préméditer le
mal, tout en sachant qu'aucune autorité n'est capable d'interdire son avènement.
La différence entre ces chercheurs et le comportement nazi est dans leur
vulnérabilité par le remords. Autrement dit, la désensibilisation morale n'a pas
encore eu complètement lieu, à la différence de ce qui s'était produit chez les
nazis. D'où l'argument selon lequel le débat actuel sur le clonage humain est en
grande partie guidé par un désir inconscient de désensibilisation morale, que
l'interdiction ne saurait interrompre par
elle-même.
2.
Le clonage humain par transfert nucléaire consiste, s'il est accompli jusqu'au
bout, à prendre le risque de créer des êtres humains gravement malades,
stériles, à les utiliser comme cobayes et esclaves, destinés à naître pour
mourir dans les plus brefs délais, après utilisation de leurs organes, en
attendant les lendemains de la santé et de l'immortalité qui chantent.... On ne
peut, en effet, affirmer qu'il faut procéder à des expériences et certifier
qu'on dispose de toutes les certitudes concernant leur innocuité. En
conséquence, la technique de clonage humain impose de s'interroger sur la
pertinence du bilan risques/bénéfices dans le cadre d'une telle expérimentation.
Autrement dit, est-ce que cloner l'être humain est une rupture radicale avec
toutes les formes d'expérimentation qui ont existé jusqu'à ce jour, ou est-ce
une expérimentation parmi tant d'autres ? Et alors, pourquoi l'interdire de
manière définitive, si ce n'est parce que c'est décider de faire naître et vivre
des êtres humains pour les faire souffrir et mourir
?
Pour
ce qui concerne le transfert nucléaire à partir de cellules adultes, nous savons
qu'il existe des risques considérables et variés liés à son utilisation. Une vie
brève (on a, par exemple, récemment découvert que l'âge des gènes du mammifère
issu du clonage était le même que celui des gènes du mammifère cloné), exposée
au cancer et à la stérilité, qui, en cas de fertilité, transmettrait un taux
élevé d'anomalies génétiques à la descendance, voilà ce que l'on pense qui
attend les éventuels clones. Et si l'on veut prouver le contraire, alors faut-il
attendre d'avoir des résultats longitudinaux significatifs chez l'animal, tout
en sachant que le passage à l'homme ne peut se satisfaire d'une simple
projection d'événements biologiques d'un règne à l'autre. Or, les fanatiques du
clonage humain sont bien décidés à aller de l'avant sans plus attendre.
Expérimenter
pour prouver que les risques sont inexistants rejoint l'autre face du crime
contre l'humanité jugé à Nuremberg, qui consiste à se servir de
l'expérimentation humaine non pour progresser dans la connaissance et le soin,
mais par curiosité mortifère. Il ne s'agit pas de partir d'un organisme malade
et d'essayer de le guérir; il s'agit de créer un organisme qui a tous les
risques d'être malade, au prétexte que l'on veut étudier sur lui comment guérir
de certaines maladies, ou les
pallier.
Cette
décision est un crime contre l'humanité, puisque c'est une manipulation de la
conception et de la naissance qui contient l'inscription de la souffrance
mortelle infligée volontairement. Faire naître pour
torturer.
Ce
type de raisonnement n'est d'ailleurs pas totalement étranger à la fécondation
in vitro (FIVETE) actuelle, puisque celle-ci a souvent recours à un autre type
de clonage, le clonage par division embryonnaire. En effet, selon Jacques
Testart, "l'intérêt médical d'adjoindre à la FIVETE cette technique serait
d'augmenter les chances de grossesse en replaçant dans l'utérus deux embryons
plutôt qu'un seul. Un autre intérêt, scientifique aujourd'hui (en 1986) et
médical à terme, serait de pouvoir analyser sous différents aspects (structural,
cytogénétique...) l'hémiembryon, frère jumeau de celui qu'on replace in utero :
cette stratégie serait l'occasion privilégiée de comprendre la part qui revient
à la "qualité" de l'embryon dans les échecs de la
FIVETE".
Pour
ce qui concerne l'intérêt médical, la loi française ne se prononce pas sur la
division embryonnaire, parce que celle-ci n'est pas pratiquée. En effet, dans le
cadre de la FIVETE, la multiplication des chances de succès d'une grossesse se
traduit par un recours à la stimulation hormonale des ovaires au risque
d'hyperstimulations, afin d'obtenir beaucoup d'embryons. Certains sont
transplantés (le plus souvent trois), si bien que, une fois sur quatre, l'on
arrive à une grossesse multiple. Au demeurant ce chiffre ne cesse d'augmenter.
En conséquence de quoi, les médecins indiquent une "réduction embryonnaire",
lorsqu'il y a grossesse de quatre embryons et plus, ainsi que dans d'autres
pathologies. La mère demande rarement cette intervention, et y consent,
puisqu'elle est prévenue de ce risque.
Réduire
un embryon, c'est stopper son développement, sans nuire à celui des autres.
D'autres
ont été préservés en cryopréservation, pour le cas où la grossesse a été un
échec.
Des
embryons sont donc programmés pour être détruits, d'autres sont prévus comme des
embryons de
remplacement.
Récemment,
les Drs Medrum et Gardner ont publié dans le New England Journal of Medicine du
27/8/98, une analyse des chances de grossesse au cours des FIVETE, qui,
s'appuyant sur les travaux de chercheurs écossais (Templeton et coll. Aberdeen
Maternity Hospital), soutient que, comparé au transfert de quatre embryons,
celui de deux seulement réduit les risques de grossesse multiple.
Quoiqu'il
en soit, la seule chose qu'on ignore, c'est lequel va se développer.
Ces
pratiques supposent déjà l'habitude du médecin, du biologiste, de la mère et du
père à écarter voire donner la mort à l'embryon qui, s'il ne vient pas "en
plus", puisqu'il est provoqué, devient gênant et donc "en plus", lorsque le
développement d'un autre se fait dans de bonnes conditions. Elles supposent
également leur l'habitude à suspendre le développement d'un embryon. Il est vrai
que celle-ci a été mise en place dans l'attente d'un perfectionnement de la
technique, qui devait rendre inutile cette production d'embryon dit
"surnuméraire".
Mais
cette attente a été vaine. Il n'y a aucune chance pour qu'une FIVETE marche à
chaque coup. C'est donc une pratique honteuse, dont on tait l'existence, parce
qu'y réfléchir remettrait en cause la légitimité de la
FIVETE.
En
fait, la rupture éthique est clairement désignée à l'endroit de la production
d'un des embryons comme un moyen utilisé au profit de l'autre auquel est assigné
le statut de
fin.
Nous
sommes déjà dans la pratique du "désapprentissage" de la moralité, voire dans
l'apprentissage du "crime contre l'humanité", puisque l'un des embryons est
conçu pour être mis à mort ultérieurement.
Cette
destruction ne s'apparente en rien à l'avortement pour cause thérapeutique.
L'avortement est une décision après-coup, la "réduction embryonnaire", une
réduction avant coup, c'est-à-dire
programmée.
Un
pas de plus pourrait être de remplacer cette technique aléatoire qu'est la
stimulation ovarienne par la division embryonnaire, mais cela renforcerait le
caractère criminel de ce dispositif, étant donné que c'est un des deux jumeaux,
qui serait programmé pour la mise à
mort.
Une
solution serait de maintenir en vie les deux jumeaux, afin qu'ils naissent et se
développent. Mais alors, il s'agirait d'une détermination artificielle du nombre
d'enfants, qui, comme la détermination du sexe de l'enfant, introduirait une
rupture dans la distribution des différences entre couples stériles et couples
fertiles devant leur procréation. Il ne s'agirait, certes pas, d'un "crime
contre l'humanité", mais de donner un avantage aux uns par rapport aux autres,
ce qui viserait l'institution d'une inégalité originaire. Ce serait un crime
contre la différence et contre l'égalité. Bref, une
sélection.
Seule
la généralisation de ces pratiques pourrait aboutir à une soi-disant
"décriminalisation" , ce qui, dans la réalité, serait la mise en place d'une
véritable politique eugénique criminelle, soumise non plus seulement aux
critères sociaux et économiques du moment, mais à des critères idéologiques
nouveaux.
Pour
ce qui concerne l'intérêt scientifique, il nous faut rappeler deux contextes
possibles : l'étude et l'expérimentation. La loi interdisant toute
expérimentation sur l'embryon, permet la réalisation d'études à finalité
médicale concernant l'embryon in vitro sous des conditions strictes, parmi
lesquelles le consentement des parents et l'absence d'atteinte à l'embryon. Ces
études peuvent être poussées trés loin, notamment dans le cadre du diagnostic
préimplantatoire et déboucher sur un pronostic de vie génétique trés difficile,
pour le futur enfant. A ce moment, l'enfant est conçu pour lui-même et ce sont
les parents qui se prononcent pour le laisser se développer ou pour en
avorter.
Selon
moi, nous ne sommes pas dans le contexte du crime contre l'humanité. Mais la
dimension criminelle demeure, et l'avortement est toujours un délit. Ce délit
peut être comparé à celui qui consiste à ne pas assister son embryon en danger
par tous les moyens humains et scientifiques possibles. Le tribunal des hommes
peut juger que ce délit est dépénalisé, si l'honnêteté des parents et des
médecins est prouvée, mais il ne peut, en aucun cas, légaliser ni encourager ces
pratiques.
Toute
autre est la perspective de l'expérimentation. La loi devrait dire que la
conception d'un embryon à des fins commerciales, industrielles ou expérimentales
est un "crime contre
l'humanité".
Je
rappelle mon principe : il y a crime contre l'humanité, non seulement quand on
soumet un être humain à l'extermination, sous le prétexte qu'il est né, mais
aussi lorsqu'on le fait naître pour faire des expériences sur lui et prendre le
risque de
l'exterminer.
Or,
quel que soit son motif, même l'expérimentation de la division embryonnaire
relève du projet
exterminateur.
En
effet, j'ai traité plus haut de la détermination artificielle du nombre
d'enfants; mais le cas qui se présente est celui de mener une série
d'expériences non plus en double aveugle, méthode comparative à la clef, mais en
double clarté, c'est-à-dire dans le but de provoquer des phénomènes biologiques
et psychologiques sur l'un et l'autre des hémiembryons, afin d'acquérir une
connaissance que l'on prétendra utile, et qui, de fait, sera moralement
nuisible.
Outre
le fait que ce type d'expérimentations foule au pied les bases mêmes des
expérimentations scientifiques dont on exige qu'elles soient éthiques (tout ce
qui n'est pas scientifique n'est pas éthique, dit Jean Bernard), et sont donc
non-recyclables dans le cadre des expérimentations scientifiques et éthiques,
elle consiste d'abord et avant tout à définir ces deux embryons comme des
moyens.
Dans
le règne humain, il n'y a pas de distinction possible entre un être qui serait
un moyen et un être qui serait une fin. Tous les êtres humains sont des fins.
Toute autre perspective dessine le commencement d'un assujettissement et d'une
aliénation d'un être à un
autre.
L'exploitation
économique et sociale de l'homme par l'homme n'est que l'expression
épiphénoménale de l'aliénation de l'homme par
l'homme.
Comme
l'écrit Hegel, "chaque conscience poursuit la mort de l'autre". Le meurtre peut
être radical, il peut également être rampant. Chaque conscience, qui subit les
effets du désir inconscient de meurtre, dont le paradigme est le parricide, peut
aller vers le meurtre par le chemin de la mort, mais aussi par le chemin de la
vie.
Dans
le premier cas, la pulsion consiste à en finir avec la fin qu'est l'homme, par
le biais de l'anéantissement. Dans le second, c'est par le biais de la création.
En ce sens le clonage est l'opposé individuel inconscient du génocide
collectif.
Nous
laisserons à d'autres le soin de comparer ce que pourrait être une
expérimentation scientifique de la division embryonnaire fondée sur d'apparents
critères démocratiques et ce qu'ont été les mesures, les massacres et les
dissections de cadavres de jumeaux par le soi-disant docteur Mengele, décrits
par Robert Jay Lifton dans "Les médecins nazis". Rappelons seulement que ce
sinistre personnage avait pour but d'arriver à la "détermination complète et
fiable de l'hérédité de l'homme", et que l'expérimentation de la division
embryonnaire que certains appellent aujourd'hui de leurs vœux, est toujours
justifiée, quant à elle, par l'objectif d'arriver à cette même détermination
dans le domaine de la
reproduction/procréation.
Je
ne pense pas que les défenseurs démocratiques de ces soi-disant expérimentations
seraient nécessairement conscients qu'ils avancent sur un chemin déjà tracé,
prenant ainsi place dans le cadre d'un certain héritage, et je ne leur fais pas
ce procès d'intention. Ils n'en seraient pas moins, à mes yeux, des
tortionnaires. Ma position va donc plus loin que celle des différentes
assemblées nommées dans le chapitre précédent, qui ont, à juste titre, réclamé
l'interdiction du clonage humain, mais aussi plus loin que celle que l'Assemblée
Mondiale de la santé a affirmée le 14 mai 1997 et dans laquelle il est dit que
l'utilisation du clonage pour reproduire des êtres humains n'est pas acceptable
sur le plan éthique et est contraire à l'intégrité de la personne humaine et à
la
morale.
D'ailleurs,
les positions de ces éminentes assemblées sont parfaitement contradictoires :
d'un côté elles condamnent le clonage humain par transfert nucléaire et ne
disent rien sur le clonage humain par division embryonnaire, de l'autre elles
poussent à la mise en place d'expérimentations sur l'embryon.
Conclusion
Pour
faire face à ce que j'ai appelé le " désapprentissage du jugement moral ",nous
devons poser une série de problèmes de fond : d'où nous plaçons-nous pour savoir
ce qu'est l'intérêt supérieur -ce qu'on appelle ici le respect de l'intégrité-
d'une personne, d'une société, de l'espèce humaine, et de l'humanité ?
Existe-t-il un sujet omniscient qui peut juger de ce qui est communément bon
pour ces quatre organisations humaines ? Et, s'il n'existe pas, est-ce une
illusion ou une résistance que de considérer qu'il est de notre devoir de le
constituer ?
*Ce texte est la réécriture d'une conférence donnée dans le cadre de l'Observatoire International du droit de la bioéthique et de la sous-commission "Ethique médicale-Droits de l'Homme", présidée par Mme Laurence Azoux-Bacrie, avocat à la Cour, le 13 janvier 1999, à la Maison du barreau (Paris).
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