PARCOURS HYPOCRATIQUE

 

 

 

L'énoncé ci-dessous s'explique par lui-même et dans son cours. On voudra bien en juger en le suivant tout son long. Pour un raccourci, en deux mots, il s'agit d'une réflexion consécutive à une impasse contradictoire qu'on peut appeler, en bref,  prise de caisse.

 

 

   Il y a quelques jours un message téléphonique me demande de rappeler " Mme Z de la Caisse Primaire ". Dès le lendemain, mais plus tôt, un second appel me rappelle de rappeler - c'est impératif ; presque un ordre. Je ne m'y soustrais, j'accomplis ce qui s'annonce comme une mission et les difficultés commencent : quand je rappelle au numéro, on cherche et j'entends des bruit et demander "quel prénom?"
   La voix vient de loin. Elle répète "quel prénom?". Je demande " C'est à moi que vous parlez ? Que voulez-vous dire par quel prénom? "

- " Le prénom de la personne que vous voulez joindre ! "
- " Ah!   Eh bien, je ne le sais pas..  Mme Z m'a laissé un message en demandant que je la rappelle à ce numéro ; elle n'a pas laissé son prénom "
- " Ah ! Qui êtes-vous ? C'est personnel ? "
   Je me présente : Dr Théaux ..    William, je précise.
- " Je cherche.."

   J'arrive ainsi à un seconde poste qui me demande " Quel prénom ? " - puis, ayant décliné mon identité et répondu que ce n'était pas personnel, j'arrive à Mme Z. Ca y est j'ai amarré mon contact de ce matin avec le MSSM !  Mme Z m'informe qu'il s'agit d'un problème d'ajustement à ce qu'il est convenu d'appeler le Meilleur Système de Santé au Monde. J'admets ce que la presse m'a régulièrement affirmé et j'écoute Mme Z qui m'explique que j'embête tout le monde avec mes feuilles de soins électroniques qui ne marchent pas - il faut toutes les refaire à la main ! Manifestement la situation me menace, mais j'objecte :

- " Comment cela peut-il se faire. Il y a deux mois, nous avons passé trois jours, Mr Y, un technicien de la Caisse Primaire et moi, pour résoudre à sa demande ce qui s'est avéré être un problème technique entre la Caisse et mon opérateur. On a conclut le cinquième jour à requérir de ma part des manipulations spéciales dont je me suis depuis lors acquitté scrupuleusement ! Vous êtes-vous mise en rapport avec Mr Y ou ne vous a-t-il pas contacté ? "
   Mme Z m'a répondu que son problème c'était mes feuilles.. qui n'indiquaient pas un code à la bonne place. Ce code est celui du Médecin Traitant que l'amélioration du MSSM tend à rendre obligatoire. Il faut préciser qu'il n'y a pas que ça qui soit obligatoire. La petite machine qui ne met pas les codes à la bonne place est aussi obligatoire - et elle coûte cher. Il s'agit d'un équipement qui n'est pas annoncé - ou dénoncé - dans le contrat de travail que les médecins sont attendus à souscrire pour participer au MSSM. A l'encontre de toutes les règles d'organisation socio-économique au monde, le praticien contractant est obligé de s'équiper à ses propres frais d'un système requis par son partenaire et qu'il entretient, à ses propres frais aussi. Cette infraction aux règles de courtoisie et de droit est imposé par le meilleur système de santé au monde comme on peut le comprendre puisque la santé, par sa nature profonde, déroge aux règles institutionnelles - puisqu'elle les surdétermine.

   En tant que médecin, il est obligatoire aussi que je me tienne attentif aux conditions de santé, c'est à dire pour une part à celle des corps sociaux - sans négliger les perspectives de l'environnement écologique et de la clinique historique. Cette séméiologie s'était faite remarquer jusque dans la période de travail avec Mr Y. Le code en question s'appelle MTO et il s'agit de savoir selon quelle logique il s'inscrit. Sa spécificité tient à ce que contrairement aux autres codes - il doit y en avoir une centaine pour cribler tous les actes de soin médicaux de cette matière inchiffrable qui fait la santé - il est sans valeur ; c'est en fait ce qui fait sa valeur, symbolique ou organisationnelle. En effet, comme le chiffre zéro, il centralise tout autre des actes dénombrés du contexte innombrable de ladite santé - il s'agit comme il se doit d'une personne : du médecin traitant (je crois que MTO signifie Médecin Traitant Organisateurduparcoursdesoin). On peut penser en effet que le MSSM a failli sombrer dans les écueils d'une administration de la santé - tandis que la santé, surtout depuis que nous sommes engagés dans le progrès, est surtout une invention. L'administration il est vrai, invente : des complications - c'est son rôle; une fonction d'équilibrage qui retient le progrès autrement trop mercuriel comme disaient les anciens - c'est à dire débridé. L'administration met la bride et fait des nœuds. C'est la loi. A cela la santé impose à son tour la redistribution autour de la personne. C'est en l'exemple la raison pour laquelle l'administration réclame qu'on se reconnaisse par nos prénoms - et c'est aussi le moyen qu'offre l'introduction obligatoire de la personne du médecin traitant dans le choix libre par le patient du parcours ou de la personnalisation de ses soins. Évidemment, cela ne peut pas correspondre à une valeur financière du type plus-value - d'où l'excentricité du code MTO ; mais pour correspondre à sa fonction de compensation (pour aboutir à zéro) il faut qu'il établisse une valeur négative ; c'est à dire qu'il soustrait de l'argent. Le MTO est un code soustracteur, non localisable et obligatoire - c'est en fin de compte ce qu'il faut bien comprendre pour saisir et analyser l'aliénation qui garantit au MSSM sa qualité essentiellement, nécessairement et irrémédiablement, humaine - à savoir la santé.
   Par conséquent lors de mon étude avec Mr Y - je lui ai expliqué que j'avais opté par le matériel le plus simple - à savoir un sabot nomade - dans l'échelle autrement immense des offres d'informatisation que la société mercantile offre à pourvoir l'équipement obligatoire subséquent à la soumission au MSSM. Je lui ai dit que mes confères m'avaient dit que plus le système était compliqué et moins il marchait et que par ailleurs je ne pouvais faire autrement qu'utiliser un nomade car la Caisse de l'Ardèche m'avait proprement sermonné quand je ne m'étais adjoint assez rapidement de l'équipement obligatoire - or c'est un cabinet secondaire et la nomadité s'en impose. Mr Y me confirma en effet qu'il y avait de gros problèmes avec les systèmes intégrant des ordinateurs complexes - et que j'avais bien fait. D'ailleurs au bout de trois jours d'étude, il avait convenu que ce n'était pas moi qui était en faute et il avait poursuivi sa recherche de la solution avec l'entreprise au demeurant de stature nationale que j'avais choisie à me confectionner l'équipement coûteux mais obligatoire.

   C'est pour une évaluation de la fonction de cet équipement que je recherche quelque témoignage direct de confères - car les syndicats ont arrêté déjà la preuve qu'il n'y avait rien à dire de la considérable taxe qui est imposée par l'administration mais de manière léonine et occulte. Le défaut de cette oppression se traduit dans un complexe qui aboutit à ce que le médecin libéral soit subalterne de secrétariats de caisse, désolidarisés de leurs services techniques et soumettant le praticien à des ordres contradictoires, à un climat de méfiance et à des fonctionnaires qui accusent les contractants des disfonctionnements dont leur administration est responsable. Si l'administration prenait honnêtement en charge ce qu'elle oblige, le système ne présenterait pas ces défaillances.
   Ces défaillances sont graves. J'en reconnais pour ma part la minime d'avoir fait, comme me le faisait remarquer Mme Z, des feuilles des soins qui indiquaient deux consultations le même jour - entendant que je ne suis pas autorisé à effectuer deux consultations pour un même patient le même jour : soit il n'est pas remboursé, soit je n'ai pas le droit de me faire payer - dans le deux cas, nous sommes tenus à faire ce que je fais ; c'est à dire parfois plusieurs consultations la même journée (thérapeutiquement c'est tout à fait indiqué) pour le prix d'une seule. Cette politique de soin et d'honnêteté hypocratique me regarde et ne concerne pas la raison que j'expliquais à Mme Z et qui suit les complexes manœuvres sur mon sabot nomade imposées par la solution de Mr Y aboutissant parfois à me troubler dans l'enregistrement des dates prises dans l'opération. Je ne parle pas des pauses que le système impose quand ces dates correspondent à un dimanche et qui scande le processus d'interruptions déclarant la non-autorisation a effectuer un dépassement. Dans cette catégorie de tracas nous abordons des défauts bien plus profonds et la doublure des dates n'est que la pointe émergée de l'iceberg détaché de la banquise encore attachée à l'administration concernant cette fois - et de nouveau - le MTO ; puisque troisièmement Mme Z me faisait remarquer qu'elle allait appliquer la sanction de soustraction de remboursement de l'honoraire qui m'avait d'abord été versé par une patiente fautive de n'avoir point de médecin traitant. Or par extraordinaire, il s'agit de ma clientèle actuellement d'une des personnes les plus médicalisées, qui est passé dernièrement par la chirurgie, la radiologie, la scintigraphie, la diététique, l'hospitalisation, l'endocrinologie et que sais-je encore - bref sans doutes plus d'une dizaine de praticiens.. Telle est celle que l'administration déclare sans médecin traitant déclaré et sanctionne.
   Évidemment je n'attends aucune excuse du Meilleur Système de Santé au Monde puisqu'il est ainsi déclaré, non plus que des remerciements pour le soin que je prends ici à éclairer comment, par devers ses paradoxes, le stress, les pertes d'argent et de temps qu'il organise, il stabilise la santé effectivement au point de remplir sa fonction; et je précise bien que ce témoignage est détaillé afin de savoir si quelque confrère est sujet aux mêmes pressions que moi.
   Puisque ma profession m'engage à cerner aux attributs des corps sociaux les déterminants de la persécution et de la paranoïa, c'est par le moyen de personne à personne qu'il est possible que j'évalue la sensation que m'a donné Mme Z que je sois le seul médecin du département avec mon sabot nomade à causer de tel trouble en sa Caisse. Ainsi donc si un confrère ou une consoeur arrive à ce point, nous serions, me semble-t-il bien inspirés de nous consulter réciproquement et partager notre expérience de situation du code MTO au sein de la feuille de soin électronique que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie assure être assurance santé.