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L’ENSEIGNEMENT DES
CONIQUES A TRAVERS UNE
APPROCHE HISTORIQUE :
COMMENT SAISIR UN TEXTE ?
Giuliano TESTA
Liceo Classico “A. Pigafetta”
Vicenza (Italie)
REPERES - IREM . N° 41 - octobre 2000
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1. INTRODUCTION
Je dis tout de suite que presque toutes les
expériences novatrices que j’ai introduites
au cours de presque trente ans, y compris la
dernière que je vais vous présenter, ont été
réalisées avec de petits groupes de volon-
taires qui désiraient élargir leurs connais-
sances dans le domaine des mathématiques
et dans un horaire extra-scolaire, vu le peu
d’heures à disposition (seulement trois par
semaine) qui ne permettaient pas d’opérer
des changements consistants et organiques sans
créer de sérieux problèmes à l’intérieur du pro-
gramme scolaire.
Cela peut paraître une limitation consi-
dérable et, sous un certain point de vue, cela
en est sûrement une, surtout parce qu’il s’agit
d’expériences qui ne peuvent pas être facile-
ment reproduites et qui sont circonscrites au
petit groupe qui les a vécues. D’un autre côté,
cette limitation représente en même temps son
véritable point fort car elle m’a permis de
choisir les sujets (tous rigoureusement extra-
scolaires) sans aucun problème ni contrain-
te, et que les élèves eux-mêmes ont librement
accepté de suivre une certaine série de cours.
Maximum de liberté, donc, pour le profes-
seur aussi bien que pour les élèves.
En tout cas, aucune expérience n’a jamais
été une fin en soi car je me suis toujours pro-
posé, le cas échéant, d’introduire quelques-uns
des sujets expérimentés dans le curriculum
scolaire traditionnel.

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L’ENSEIGNEMENT DES CONIQUES A
TRAVERS UNE APPROCHE HISTORIQUE
Le travail avec de petits groupes d’élèves,
intéressés et très curieux mais pas nécessai-
rement particulièrement forts en mathéma-
tiques, me permettait d’observer de près leur
façon de penser et de travailler. De plus,
comme ils n’avaient aucune obligation, ils
n’étaient pas non plus victimes de cette anxié-
té bien connue que donne le syndrome des
mathématiques. En tout cas, ce qui m’intéressait
c’était de former, autant que possible, les
élèves à rechercher les sources des mathé-
matiques et à découvrir les auteurs du passé.
J’étais en effet convaincu que la reconstitu-
tion d’une ambiance et d’une certaine façon
de penser éveillerait le goût pour la découverte
et favoriserait le processus de compréhen-
sion dans l’esprit de l’élève. L’habitude de la
citation correcte, en outre, devait amener les
jeunes à l’honnêteté intellectuelle, à la discussion
et à la confrontation. Je sollicitais donc mes
élèves pour exposer les résultats de leurs
recherches et les soumettre, le cas échéant,
aux critiques de leurs camarades.
Pour finir, j’ai toujours été d’avis que
l’élève devrait trouver à l’école une ambian-
ce où vivre sa jeunesse, où rechercher dans le
passé les raisons du présent et où se donner
avec enthousiasme à la formation de sa per-
sonnalité. En réalité, je pense qu’une approche
historique des mathématiques n’est pas utile
qu’aux mathématiques.
2. UNE NOUVELLE EXPERIENCE
Cette expérience a été réalisée en deux par-
ties, distinctes mais non indépendantes, de huit
heures chacune, et a eu lieu dans une classe
de terminale du Lycée Scientifique «P. Lioy»
de Vicence (Italie) avec un groupe de seize élèves
(onze filles et cinq garçons de 17 ans) qui
s’étaient offerts spontanément de participer
à une activité extra-scolaire.
Le but de la première partie était de
découvrir le sens des noms des coniques à
travers l’analyse de l’évolution des idées en
mathématiques dans un contexte culturel
plus étendu. Pour susciter l’intérêt sur le rôle
que l’histoire a joué dans cette évolution, je
me suis servi de l’analyse de textes extra-
mathématiques, en particulier de textes lit-
téraires et philosophiques.
La deuxième partie a été réservée à la lec-
ture d’un ancien texte français :
le Traité des sections coniques
de De La Chapelle (cf. page ci-contre)
La première partie fit réellement décou-
vrir aux élèves un monde nouveau, avec de nou-
velles idées et des liens inattendus entre les
différentes expériences : on vit les mathé-
matiques comme une partie active de la vie
humaine.
Bien que le rôle des élèves fût assez limi-
té dans cette première partie, et il ne pouvait
être autrement si l’on considère l’étendue et
la complexité des thèmes présentés, leur réac-
tion a été positive, comme cela ressort de
leurs réponses à un questionnaire.
A la fin de cette partie les élèves reçurent
une brochure, contenant un résumé des leçons,
qui a été plus tard utilisée dans la deuxième
partie de l’expérience où la participation des
élèves devint réellement active. On leur donna
34 fiches de travail, d’une difficulté progres-
sive, dont ils devaient se servir pour lire le texte
français.
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L’ENSEIGNEMENT DES CONIQUES A
TRAVERS UNE APPROCHE HISTORIQUE
Ce texte a été récemment réédité aux soins
de l’IREM de Paris VII (v. [3]), ce qui représente pour
le lecteur une occasion inespérée à ne pas manquer.

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L’ENSEIGNEMENT DES CONIQUES A
TRAVERS UNE APPROCHE HISTORIQUE
Programme du Cours.
PREMIERE PARTIE
Origine des coniques et de leurs
noms.
1. Problèmes classiques (en particulier
le problème de Délos).
2. Constructions géométriques à l’aide
de la règle et du compas.
3. Moyen de prendre deux moyennes
entre deux segments donnés.
4. Application des aires - I (Introduc-
tion ; le gnomon).
5. Application des aires - II (Parabole).
6. Application des aires - III (Ellipse,
Hyperbole).
7. Origine des coniques - I (Genèse des
coniques : Euclide, Serenus).
8. Origine des coniques - II (Apol-
lonius ; «Symptoma» d’une conique).
DEUXIEME PARTIE
M. de la Chapelle
Traité des Sections Coniques, et
autres courbes anciennes
1. Parabole.
5. Ellipse.
2. Parabole.
6. Ellipse.
3. Parabole.
7. Ellipse ; Hyperbole
4. Parabole.
8. Conchoïde.
Pendant le cours, on a accordé une atten-
tion différente aux trois coniques pour respecter
l’esprit du livre de M.de La Chapelle qui sou-
tient que
“Je me suis beaucoup étendu sur les
premières idées, qui nous ont fait
découvrir les propriétés fondamen-
tales ou caractéristiques de la Para-
bole, & nous ont conduit à sa construc-
tion; mais, comme ce sera une marche
semblable pour les autres Sections
coniques, ceci est démontré une fois pour
toutes. Ainsi les Commençans, qui
voudront prendre bien l’esprit de la Géo-
métrie, c’est-à-dire, la manière dont on
procède pour y faire des découvertes,
doivent insister courageusemtent sur
ces premiers Elémens, & être très-
persuadés que sçavoir bien c’est sça-
voir beaucoup” ([2], p. 39).
Ce passage a été entièrement commenté
avec les élèves, justement à cause de ses
implications didactiques.
J’ai estimé opportun d’ajouter une fiche
sur la conchoïde, qui a vraiment fasciné les
élèves, et sur son application dans la solution
du problème de Délos qui a été le point de départ
de notre aventure.
Il faut rappeler que, d’après Plutarque,
ce sont d’anciennes légendes liées au verdict
de l’oracle d’Apollon qui sont à l’origine du
problème de Délos. Aux habitans de Délos qui
lui demandaient comment ils pourraient
mettre fin à une guerre dévastatrice, Apol-
lon leur aurait commandé d’élever en son hon-
neur un nouvel autel ayant un volume double
par rapport au précédent, tout en gardant sa
forme cubique.

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L’ENSEIGNEMENT DES CONIQUES A
TRAVERS UNE APPROCHE HISTORIQUE
3. OBJECTIFS ET ORGANISATION
DU TRAVAIL
Mon objectif didactique était d’abord de
suivre à la trace le changement dans la signi-
fication des noms des coniques, à partir du pro-
blème de Délos, et de ses nombreuses solutions
(rassemblées par Eutocius), de procéder à
l’analyse de l’application des aires suivant
Euclide et finalement de présenter la réor-
ganisation définitive d’Apollonius.
Je suis de l’avis qu’il n’est pas possible
de faire l’histoire des mathématiques sans
faire de mathématiques et par conséquent
sans la lecture directe d’un bon texte. Voilà
pourquoi la deuxiéme partie consistait en
la lecture d’un ancien texte de mathématiques.
J’y étais incité par la finesse d’un de mes
élèves qui, en feuilletant tranquillement
le livre original de M. de la Chapelle, s’excla-
ma :
“Qu’il est beau de faire de l’histoire !”
J’avais choisi le texte de M. de la Chapelle
parce qu’il offrait une possibilité réelle d’uti-
liser un texte original et surtout pour l’élégance
et la simplicité de ses démonstrations sur les
principales propriétés des coniques.
On s’est pourtant heurté à quelques pro-
blèmes pratiques ; avant tout, mes élèves
étudiaient l’anglais comme langue étrangère
et pas le français, puis, il existe des diffé-
rences, non seulement d’ordre linguistique
mais aussi conceptuel, dans la manière de
démontrer les théorèmes par rapport aux
méthodes d’aujourd’hui. Enfin, il y a aussi des
caractéristiques relatives à la présentation et
aux notations surannées dont il fallait tenir
compte.
Pour surmonter l’impossibilité de la lec-
ture directe du texte dans l’original, on a pro-
cédé à une sorte de lecture simulée à l’aide
de fiches de travail basées sur les lignes direc-
trices suivantes :
a) progression des difficultés
b) emploi des notations originales du
texte, en particulier pour désigner propor-
tions et parenthèses
c) reproduction des figures du texte
d) traduction littérale du texte en ita-
lien, tout en cherchant à en garder les struc-
tures linguistiques.
Les élèves travaillaient à leurs fiches par
petits groupes. Ils devaient reconstruire les
démonstrations originales que j’avais lais-
sées, exprès, inachevées et leurs résultats
étaient ensuite contrôlés et commentés au
moment où leur étaient montrés les transparents
avec les démonstrations complètes.
Les appréciations des étudiants ont fait
voir leur préférence pour ces dernières leçons
parce que plus actives. Ils dirent que les fiches
rendaient leur travail plus facile et agréable
et que la deuxième partie du cours était plus
difficile mais aussi plus séduisante et grati-
fiante. En effet, on ne devrait pas sous-esti-
mer le fait que les élèves motivés ne pré-
fèrent pas toujours les choses faciles.
4. M. DE LA CHAPELLE
ET SON LIVRE
On connaît peu de choses sur la vie de M.de
La Chapelle : né à Rouen autour de 1710, il
mourut à Paris en 1792. Il fut Censeur à la
Cour, membre de l’Académie de Lyon et de
Rouen, membre de la Société Royale de Londres
et collaborateur de l’Encyclopédie. Il nous

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TRAVERS UNE APPROCHE HISTORIQUE
laissa peu de livres sur différents sujets et se
voua aux aspects didactiques de l’Education
Mathématique. Pour d’autres détails, il est utile
de consulter la Préface de M. Lacombe [3] et
un article très intéressant de J. Itard sur les
idées de M.de La Chapelle au sujet de l’édu-
cation mathématique précoce des enfants [5].
Renommé pendant quelque temps pour son
travail et en particulier pour son livre sur les
coniques, son nom semble avoir été vite oublié.
De toute façon, autant que j’ai pu le
constater, une recherche historique sur des
textes de mathématiques destinés à l’ensei-
gnement semble faire défaut : probablement
les historiens étaient plus intéressés par le chan-
gement des concepts, l’évolution des théories
et des méthodes que par les problèmes liés à
l’enseignement. En réalité, d’autres mathé-
maticiens allaient procéder dans le nouveau
chemin que Fermat et Descartes avaient
ouvert. Ceux qui étaient intéressés à moder-
niser l’enseignement et à rendre les mathé-
matiques accessibles à une plus large couche
de la population étaient considérés comme des
mathématiciens mineurs. Cet intérêt à l’égard
de l’enseignement, qui en France remonte
aux mathématiciens de Port Royal au XVIIe
siècle, devint plus manifeste et important au
cours du Siècle des Lumières, d’après les
témoignages, par exemple, de Clairaut (Géo-
métrie), de Sauri (Institutions Mathématiques
[6]) et aussi de Rousseau (Emile). Parmi ses
principes pédagogiques bien connus, Rousseau
nous offre quelques idées stimulantes sur
l’éducation mathématique précoce des enfants,
tout à fait semblables à celles de M.de La
Chapelle.
Sauri devint célèbre en France et à l’étran-
ger grâce à son manuel qui fut traduit en
plusieurs langues. Le texte de M.de La Cha-
pelle est donc représentatif de cette ardeur
renouvelée dans la diffusion, toujours plus éten-
due dans la population, de la connaissance :
c’est un exemple très intelligent de vulgari-
sation scientifique à un niveau élevé.
Le livre en question, avec d’autres textes
de la même époque, y compris le manuel de
Sauri, frappe le lecteur moderne par son
retour à Apollonius, ce qui, peut-être, confir-
me la négligence des historiens à l’égard de
ce genre de travaux. Quoi qu’il en soit, le
livre de M.de La Chapelle présente quelques
caractéristiques positives qu’il vaut la peine
de souligner : premièrement l’application sys-
tématique de l’Algèbre à la Géométrie et
deuxièmement l’emploi systematique de la
proposition 35 du livre III d’Euclide, concer-
nant le cercle, d’où les équations des coniques
ont tiré leur origine.
Bien que l’idée de projection soit absen-
te, il est vraiment fascinant de voir comment
les propriétés des coniques, les plus importantes,
prennent leur origine dans la proposition ci-
dessus qui met en jeu différents plans dans
l’espace (voir Fiche 1 au § 5.1).
Il y a, enfin, plusieurs applications, par-
ticulièrement en physique.
5. LES FICHES
Dans la deuxième partie du cours mon but
était l’approche directe du texte par les élèves.
Cela n’était pas possible, on l’a dit avant, au
sens strict du terme, étant donné la difficul-
té que présentait une langue complètement
inconnue. Mais une traduction intégrale et lit-
térale de la part du professeur n’était pas
souhaitable non plus car l’approche aurait
été tout à fait passive et irréalisable. En effet,
les élèves auraient dû seulement lire et écou-

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ter sans aucune participation active. Je conçus
alors l’idée de pousser les élèves à recons-
truire eux-mêmes le texte.
Et c’est là le noyau de mon expérience.
Dans ce but, j’ai parsemé les fiches de tra-
vail de suggestions et de difficultés, comme des
blancs à remplir, des comparaisons à faire, des
analyses de figures (pas faciles à lire) et ainsi
de suite. Les difficultés étaient pourtant pro-
gressives, suivant la proportion de texte ori-
ginal traduit en italien. Dans les premières
fiches j’ai donc souvent résumé le texte original ;
mais, au fur et à mesure que le travail pro-
gressait, j’augmentais la quantité du texte ori-
ginal pour arriver, à la fin du cours, à une lec-
ture presque intégrale. Je gardais les notations
symboliques de l’original, qui étaient parfois
si différentes des nôtres. De plus, même dans
les fiches entièrement en italien, les mor-
ceaux tirés de l’original étaient écrits en ita-
lique, pour les distinguer des résumés et des
suggestions du professeur.
Les élèves travaillaient par groupes à
l’école et individuellement à la maison. Le
début a été un peu traumatisant : j’ai dû les
guider dans les premières fiches jusqu’au
moment où ils réussirent à travailler tout
seuls et que mon assistance devint de moins
en moins nécessaire. Mais voyons mainte-
nant, à travers les trois premières fiches,
comment s’est en fait développée la lecture du
livre de M. de la Chapelle.
PROP. III, 35
Si dans un cercle deux droites se coupent l’une l’autre, le rectangle contenu
par les segments de l’une est égal au rectangle contenu par les segments de l’autre.
([9], p. 459)
Ce que signifie que les produits des segments AE*EC, BE*ED
(qui correspondent aux aires des rectangles
ayant les mêmes côtés que les segments) sont égaux.

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L’ENSEIGNEMENT DES CONIQUES A
TRAVERS UNE APPROCHE HISTORIQUE
5.1 La première fiche devait amener les élèves
à découvrir une relation de proportionnalité
entre les carrés des ordonnées et les abscisses
des points de la parabole. Dans la deuxième
fiche, par contre, on définissait le paramètre
(dont la notion est pratiquement absente dans
les livres scolaires italiens) pour arriver à
l’équation de la courbe.
A la gauche de la figure originale on a intro-
duit une deuxième figure, qui n’apparaît pas
dans le texte de M. de La Chapelle, pour aider
les élèves à appliquer correctement la proposition
III, 35 d’Euclide : en effet, M.de La Chapelle
se servit de cette proposition dans le cas par-
ticulier où les deux cordes sont perpendicu-
laires l’une à l’autre. Il faut remarquer, en outre,
que le texte (sauf l’énoncé) a été synthétisé,
justement pour indiquer aux élèves le parcours
à suivre.
En réalité, les analyses géométriques
FICHE 1
Parabole
PROPOS. IV (p. 30) Les Quarrés des Ordonnées dans la Parabole, sont
entr’eux comme les Abcisses correspondantes, c’est-à-dire que :
PM
2
.BD
2
::AP.AB
Considérons les triangles semblables APO, _____ .
Nous avons AP.AB::PO.BC::PO
x
PG.BC
x
___
(parce que PG = _____ )
Alors
AP.AB::PO
x
PG.BC
x
___
Mais
PO
x
PG = PM
2
; BC
x
___ = ___
parce que ____________________________
Donc AP.AB::PM
2
.___ .

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TRAVERS UNE APPROCHE HISTORIQUE
qu’ils devaient faire étaient élémentaires
mais le début n’a pas été facile pour les élèves
car je leur avais donné une fiche sans leur four-
nir aucune instruction. Le premier moment
de panique a pourtant été surmonté dès que
je leur ai fait voir le transparent reproduisant
leur fiche et qu’on a commencé à commenter
le sens des blancs. Il était intéressant de voir
comment les élèves cherchaient à affronter les
difficultés : quelques-uns se servaient de
crayons de couleur pour mettre en évidence
les figures, d’autres remplaçaient les notations
anciennes par des notations courantes qui
leur étaient familières.
Chaque fiche était dûment contrôlée et com-
mentée à l’aide d’un autre transparent qui met-
tait en évidence, en rouge, la partie qui man-
-

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TRAVERS UNE APPROCHE HISTORIQUE
quait. C’était là l’occasion pour une discussion
et des éclaircissements supplémentaires. De
cette manière on contrôlait aussi les fiches que
les élèves avaient élaborées à la maison. Afin
d’expliquer plus clairement le genre d’opéra-
tions et d’adaptations que j’ai effectuées pour
rendre plus accessible aux élèves le livre de
M. de la Chapelle, on reproduit ci-dessous le
texte original de la fiche 1. Toute référence,
y compris le numérotage des pages qui paraît
dans les fiches, se rapporte au texte original
[2], mais le lecteur intéressé pourra facilement
utiliser l’excellente édition de l’Irem de Paris
VII (v. [3]).
5.2 Un autre procédé dont je me suis servi dans
quelques-unes des fiches c’était de me référer
aux figures qu’on avait rencontrées dans des
fiches précédentes ; c’était là une nouvelle
manière de simuler la lecture de l’original
car, dans ce cas, il est toujours nécessaire de
fermer son livre et de rechercher en Appen-
dice la figure correcte.
La deuxième fiche, par exemple, est dépour-
vue de toute figure mais la référence à la
fiche précédente est clairement suggérée.
5.3 Au début, les difficultées liées à la struc-
ture de la langue avaient disparues parce
FICHE 2 (Paramètre-1)
En posant AP = y, MP = x, nous pourrons écrire ____________ :
ceci explique la définition suivante (p. 35) :
DEF.
Cherchez une troisième proportionelle à une Abcisse AP quelconque & à son
Ordonnée correspondante PM; c’est-à-dire faites AP.PM::PM est à une quatrième Ligne,
ou AB.BD::BD est à un quatrième terme, & la Ligne que vous trouverez de cette maniè-
re, est ce que les anciens Géomètres appelloient Latus rectum, & ce que les modernes nom-
ment Paramètre ; nous la désignerons dans la suite par la lettre p.
COROL. VIII (p. 35)
Si l’on fait donc AP.PM::PM.p , AB.BD::BD.m
D’où
PM
2
= ___ , BD
2
= ___ et PM
2
.BD
2
:: ___
x
__ . ___
x
__
Mais (Fiche 1) : PM
2
.BD
2
:: ___ . __
Donc AP
x
p.AB
x
___ :: AP. ___
et AP
x
AB
x
p = AP
x
___
x
___
Et enfin ______ ;
cela signifie que le paramètre p est ____________ du point P.

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L’ENSEIGNEMENT DES CONIQUES A
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que la partie du texte original était
limitée, mais dans les fiches suc-
cessives elles ont été affrontées
directement. De même pour la lec-
ture des figures. Dans l’original,
les figures sont utilisées pour démon-
trer beaucoup de propositions,
offrant ainsi une grande quantité
d’informations qui, cependant, se rap-
portent à des situations différentes.
De plus, ces figures étaient groupées
sur des Tables en Appendice, sui-
vant le style de l’époque. Initiale-
ment, pour faciliter l’analyse des
figures, je les dessinais de nou-
veau, suivant l’original, et chaque
fois je ne reproduisais que les élé-
ments indispensables à une cer-
tain proposition, laissant d’un côté
les autres. Bref, de chaque figure
j’en tirais plusieurs, suivant la
nécessité, comme l’on peut remar-
quer, par exemple, dans la troisiè-
me fiche.
La figure de la fiche 3 a été
obtenue en n’utilisant de l’original
(fig. 19), qu’on reproduit ci-dessous
par commodité du lecteur, que les
informations nécessaires aux élèves.
FICHE 3 (Paramètre-2)
Autre manière de trouver le Paramètre. (p. 36)
[La parabole et son axe étant donnés]
Mener, du sommet A, une corde quelconque AN ; et,
du point N, la perpendiculaire NB à cette corde.
Mener enfin du point N la perpendiculaire NF à l’axe
de la parabole.
Donc NF
2
= ___
x
___
§‹
p = ___
Troisiéme manière. (p. 36)
Tirez au Sommet de l’Axe, une corde qui fasse avec
lui un Angle demi-droit ou de 45 degrés:& du Point M
où cette corde coupe la Courbe, abbaissez une Perpen-
diculaire ou une Ordonnée PM à l’Axe; alors cette
Ordonnée ou son Abcisse correspondante sera égale au
Paramètre.
PM = AP ; PM
2
= ___
x
___
§‹
p = ___
COROL. IX (p. 36)
PM = y , AP = x
§‹
yy = ____

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L’ENSEIGNEMENT DES CONIQUES A
TRAVERS UNE APPROCHE HISTORIQUE
5.4 De toute façon, comme je l’ai dit avant,
à un certain moment du cours je me suis servi
des figures originales pour pousser les élèves
à une analyse soignée tout en recherchant
la véritable information essentielle. Les
démonstrations comprenaient plusieurs
blancs à remplir, des expressions à éva-
luer et des raisonnements à deviner. Dans
ce cas-là aussi, les difficultés étaient pro-
gressives jusqu’à devenir tout à fait complexes.
En effet, dans les dernières fiches, les élèves
devaient même compléter l’énoncé de la
proposition avec les mots manquants ; ils
devaient insérer les mots exacts, pas des syno-
nymes, qu’ils avaient pu trouver dans des
fiches précédentes. Tout cela sous-entend
qu’ils avaient à reconstruire le développe-
ment du sujet dans son ensemble.
De toute façon, ils demandèrent aussi
mon aide dans les dernières fiches pour sur-
monter certains obstacles remarquables (par
exemple, quand ils devaient compléter l’énon-
cé d’une proposition, quand ils avaient à ana-
lyser des figures enchevêtrées, à faire des
substitutions dans des expressions complexes
et à les simplifier).
Les élèves ont travaillé assidûment, même
frénétiquemment, et quand ils étaient à bout
de force j’étais prêt à les encourager et à les
soutenir pour qu’ils reprennent confiance.
6. RESULTATS
A la fin de chaque leçon les élèves devaient
remplir un questionnaire, pour exprimer leur
appréciation, contrôler leur compréhension du
sujet et aussi pour en découvrir les difficul-
tés. Enfin, pour un bilan général de l’experience,
on a rempli un questionnaire plus détaillé.
A la question, qui était naturellement la
plus importane : «Croyez-vous qu’une
approche historique des mathématiques
soit importante?» les réponses ont été toutes
positives. Voici une sélection des plus inté-
ressantes.
“Il est très important de s’identifier avec les
mathématiciens anciens et de découvrir
comment ils ont pu arriver à ces conclu-
sions-là.” - “Oui, certainement, pour com-
prendre comment les interprétations d’un
même problème ont changé au cours des
siècles.” - “Oui, parce que nous ne voyons plus
les maths comme une discipline froide pour
des gens intelligents mais comme quelque chose
imprégnée de sensibilité et enracinée dans
les besoins de l’homme.” - “Pour mieux com-
COROL. VIII (p. 147)
Toute Tangente OS (fig. 49.) en quelque
Point M de l’Ellipse, différent des extre-
mités des Axes, est nécessairement déter-
minée à rencontrer le grand Axe en
quelque Point O. Car, si OS étoit paral-
lèle à l’Axe AB, on auroit l’Angle FfM =
LMP = LMF (car ____________ ) = MFf
son alterne; donc l’Angle FfM égaleroit
l’Angle MFf; donc Mf égaleroit _____ ;
ce qui est ________________ .
La Tangente OS n’est donc pas
_____________ à l’Axe AB; par conséquent
elle le rencontre, ou est déterminée à le ren-
contrer en quelque Point O.
[Enoncé de la Fiche 30]

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L’ENSEIGNEMENT DES CONIQUES A
TRAVERS UNE APPROCHE HISTORIQUE
prendre les procédés des théorèmes et des
démonstrations il est important d’apprendre
ce qui se trouve derrière eux.” - “Oui, il
peut même arriver qu’on aime un peu plus
les mathématiques.”
En dressant le plan du cours, mon véri-
table but était de faire naître chez les élèves
une sorte d’identification avec les mathéma-
ticiens du passé. La découverte que les mathé-
matiques sont “profondément enracinées dans
les besoins de l’homme” a représenté un suc-
cès considérable. M. de La Chapelle lui même
a clairement exposé cette idée dans sa Préface
où il a aussi insisté sur une autre conception
essentielle : “montrer . . . les occasions, les degrés
ou la chaîne, par où l’on est arrivé à une
découverte.” Il y a sans doute des coïncidences
remarquables entre les réponses des élèves (pour
comprendre les théorèmes et les démonstra-
tions il est important d’apprendre ce qui se trou-
ve derrière eux) et les idées contenues dans la
Préface qui, on l’a dit avant, n’avait pas été
lue à l’avance ni discutée indirectement avec
les élèves. En effet, le souci fondamental de
M. de la Chapelle à l’égard de l’enseignement
était de diffuser les mathématiques dans les
différentes couches sociales de la population,
ce qui est résumé d’une façon magnifique
dans la réponse d’un élève : «pas une discipline
froide pour quelqu’un d’intelligent.»
Quelques élèves affirmaient aussi qu’ils
avaient élargi leurs horizons culturels, d’autres
qu’ils avaient changé leur manière de s’appro-
cher des problèmes de mathématiques. Mais
c’est la réponse “de réfléchir davantage sur des
problèmes apparemment simples” qui m’a
particulièrement frappé. En géneral, les élèves
ont toujours de la peine à tirer des conclusions
importantes de faits apparemment simples,
la simplicité ou la petitesse étant usuelle-
ment ignorées ou négligées. Une recherche atten-
tive sur les habitudes sociales ou la vie quo-
tidienne des élèves pourrait, peut-être, per-
mettre de comprendre ce qui les aide ou les
empêche de focaliser leur attention sur la
simplicité qu’ils voient généralement opposée
à l’importance. Bref, de voir comment la vie
moderne influence le processus dans l’étude
des mathématiques.
La réponse suivante, aussi, donne un
aperçu frappant sur l’étude des mathéma-
tiques ainsi que sur le développement global
de la personnalité d’un étudiant : ”L’intuition
de quelques mathématiciens dans les solu-
tions de certaines démonstrations m’ont aidé
à élargir mon esprit et à résoudre les pro-
blèmes et les questions sans négliger aucun point
de vue.”
A la question «Est-ce-que le cours a pro-
duit quelque changement dans votre
manière de travailler en général?» il y eut
10 réponses positives, 5 négatives et une
incertaine.
Je voudrais seulement souligner un point
très significatif que des élèves ont mis en évi-
dence : leur nouvelle attitude à l’égard des
mathématiques était tellement influencée
par le cours que, sans le savoir, leurs réponses
font écho aux intentions que M.de La Chapelle
a exposées dans sa Préface. Même la répon-
se “Quand je dois résoudre un problème, je pro-
cède maintenant d’une manière méthodique,
pas à pas, point par point” rappelle le concept
général de M.de La Chapelle «. . . ou les pas
qui menent à une solution . . .»
Une remarque intéressante qu’un élève
a faite disait qu’ “il est important de com-
prendre que les maths ne sont pas seulement

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L’ENSEIGNEMENT DES CONIQUES A
TRAVERS UNE APPROCHE HISTORIQUE
une matière scolaire qu’on doit apprendre
pour passer un examen ou réussir un test en
classe, mais une discipline étroitement liée
aux besoins les plus profonds de l’homme.”
Aussi la question finale : «A votre avis,
quels étaient les buts que votre profes-
seur s’était proposés ?» reçut des réponses
intéressantes dont je voudrais souligner la sui-
vante :
Il voulait nous pousser au-delà des théorèmes
pour arriver près des racines des maths.
Cette dernière réponse aussi rappelle la
Préface qu’on vient de citer où l’on trouve :
Par là, on s’accoutume à remarquer la liai-
fon des plus petites choses avec les plus
grandes ; & guidé par la raison plutôt que
par la mémoire, on est quelquefois assez
heureux pour appercevoir la fin d’une
recherche, parce qu’on en a bien vû le com-
mencement. ([2], p. v)
7. CONCLUSION
L’évaluation du cours, avec son contrôle
pas à pas, rapporte une grande quantité
d’informations ; il est cependant difficile de don-
ner une appréciation finale et définitive. Les
élèves recevaient en peu de temps une énor-
me quantité d’informations, les deux parties
du cours, bien qu’interdépendantes, présen-
taient des difficultés conceptuelles qui étaient
très différentes et, last but not least, les élèves
étaient tenus de rester à l’école après leurs cours
pour faire un travail extra-scolaire sans être
dispensés de leur travail habituel à la maison.
Compte tenu de ces considérations, cette expé-
rience peut être considérée comme réussie
car les résultats atteints ont répondu aux
buts que je m’étais proposé :
1) de rendre les mathématiques agréables
aux élèves, même en leur demandant des
activités supplémentaires ;
2) de faire comprendre aux élèves que
les mathématiques aussi ont une histoire,
leur propre histoire, qui n’est pas quelque
chose de mort ou de figé dans le temps ;
3) de faire connaître aux élèves, bien que
d’une manière imparfaite, un véritable texte
de mathématiques, un texte ancien.
De plus, comme d’autres élèves l’ont à
maintes reprises répété, ils ont réellement
joui de l’atmosphère agréable, détendue que
le travail en groupe sur un projet hors du
commun, parfois difficile, avait créée, et de l’occa-
sion unique d’accéder à un texte ancien à tra-
vers une interaction effective et stimulante.
Je voudrais à la fin ajouter qu’un travail
méthodique sur un texte ancien pendant plu-
sieurs heures, représente aussi une stimula-
tion à saisir l’esprit et l’oeuvre d’un mathé-
maticien presque oublié et par conséquent
une occasion ultérieure pour réfléchir sur le
rôle de l’histoire dans la formation mathé-
matique.
De la manière dont on la produit
communément, il fembleroit qu’elle eft
defcendue du Ciel tout à coup ; mais qui
ofe dans ces matières prétendre au droit
d’etre infpiré ?
(M. de la Chapelle, [2], p. v)

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TRAVERS UNE APPROCHE HISTORIQUE
Je remercie Mme Fulvia Furinghetti (Gruppo Ricerca Educazione
Matematica, Genova) pour ses précieux conseils et son encouragement
à l’occasion de mon article et aussi Mme Teresita Maroso Lorenzi
(Vicenza) pour avoir dédié une partie de son temps à la traduction en
le distrayant de ses passionnées études littéraires.
BIBLIOGRAPHIE
[1] Apollonius, Les Coniques, trad. Paul Ver Eecke (1922), Ed. Blan-
chard, Paris, 1959
[2] M. de la Chapelle, Traité des Sections Coniques, et autres courbes
anciennes, Debure, Paris, 1765
[3] M. de la Chapelle, Traité des Sections Coniques, et autres courbes
anciennes, Reproduction de textes anciens nouvelle série 6, IREM
VII, Paris, 1994
[4] Coolidge, J. L., A History of the Conic Sections and Quadric
Surfaces, Dover, New York, 1968
[5] Itard, J., Les opinions de l’abbé de La Chapelle sur l’ensignement
des mathématiques, Essais d’histoire des mathématiques, Blan-
chard, Paris, 1994 (p. 372-376)
[6] M. l’Abbé Sauri, Institutions Mathématiques, servant d’intro-
duction a un cours de Philosophie, a l’usage des Universités
de France, Valade, Paris, 1777
[7] Testa, G., How to treat students to . . . conics and how to read
an ancient French text at school without knowing . . . Fren-
ch!, Actes de la Deuxième Université d’Eté Européenne sur Histoire et
Epistémologie dans l’Education Mathématique, 24-30 Julho 1996,
Braga, Portugal, vol. I (p. 309-310)
[8] Testa, G., I famosi “problemi classici nell’insegnamento”, L’Inse-
gnamento della Matematica e delle Scienze Integrate, vol. 20A-B, n°
6, Nov. Dic. 1997 (p. 873-900)
[9] Vitrac, B., Euclide : Les Eléments, vol. I, Presses Universi-
taires de France, Paris, 1990