PLANPSYCHISME

En construction - essai/brouillon

 

   Il existe un chapitre intitulé Les raisons du panpsychisme dans le livre de Gérard SIMON titré Kepler astronome astrologue. Ce livre est divisé en deux parties : L'astrologie et les arcanes de la nature puis L'astronomie et les calculs de Dieu. Je veux croire - et c'est pour ça que je l'écris - que le panpsychisme mérite d'être dénommé à l'instant planpsychisme car le premier est encore un concept des plus actuels et qu'il a seulement varié légèrement d'une forme, ou d'une lettre, au lieu d'avoir sombré comme l'ont dernièrement encore prétendu les professeurs Nimbus.

   Un petit détail sur Gérard Simon, pour ceux qui ne l'ont pas lu ; comme de Koyré spécialiste de Copernic, de Yates de Giordano Bruno, le livre de Simon est un pavé, une bible - par forcément de la valeur (qu'elle peut approcher) ou de la réputation des deux autres, mais néanmoins un gros ouvrage de référence de compte-rendu contemporainement exhaustif de la pensée de Johannes Kepler.

   J'écris l'article présent pour fournir ma contribution à un propos soutenu au forum H26. On y touche la question "Isaac CASAUBON" - autrement dit aux temps modernes "Ahmed OSMAN" - qui a déjà été longuement traitée et tout du moins résolue comme l'ignore Patrick BOISTIER ; je n'y reviendrai pas ici mais poursuis sur les mathématiques après Fludd et selon Kepler. Je ne reviens pas sur Casaubon car les marteaux peuvent bien faire ce qu'ils veulent à frapper comme des sourds, ils n'atteignent plus les machines qui, à vrai dire, maintenant conduisent leur coups de virtuels leaders. Par contre le vivant se demande ce qu'il fait dans ce cliquetis ; pour en savoir plus il lui faut débrouiller un jeu de signes, de semblant, de signifiants et d'objets dont il se verra l'heureux présentant.

   Reprendre les choses à partir de la Renaissance, c'est estimer devenu suffisamment probable que, plutôt qu'avènement des lumières, elle fut sous le couvert de son mensonge (pourquoi pas mensonge de la lumière, Lucifer prévient-on) un refoulement, dont nous observons à ce jour le fruit du travail. Ainsi, pour prendre intégralement connaissance dudit fruit nous repartons, par exemple de la pensée de Kepler. Ici plus bas, nous entendons parler de sa perception extrêmement nette des authentiques mathématiques (et/ou de leur différence avec les approches mystiques des nombre) ; or ce n'est pas exactement la manière dont en parle G.Simon - dont voici quelques extraits (c'est moi qui y accentue certains passages) ; le premier :

... Enfin quand celui qui s'interroge sur la signification des relations quantitatives qui lient de multiples manières les différentes parties du monde se meut encore dans la vieille ratio des analogies et des signatures, cette métaphysique de l'origine prend la forme d'une réactivation du pythagorisme, avec la symbolique des proportions mathématiques, et du retour à une antique mystique solaire, avec l'animation primordiales de l'univers.
   On assiste ainsi à l'étonnante symbiose (et combien précaire!) du besoin de quantification des phénomènes naturels, de l'exigence de leur explication causale, et du décryptage du sens ; bref, à la
gestation d'une physique mathématique à l'intérieur d'une logique du signe.
   On retrouve là très nettement la classique mise au rancart : vieille raison, pythagorisme, antique mystique...
   Or cet extrait s'intercale entre deux autres passages ; l'un qui précède et constitue une prévenance contre la raison moderne :
   Dans la mesure où elles sont scientifiques, des conceptions s'intègrent trop facilement à notre univers intellectuel et risquent de masquer... ...Le résultat consacré par le développement ultérieur du savoir acquiert une sorte de nécessité intrinsèque : puisqu'il est vrai, il devait se montrer vraisemblable... ... Bref, il se produit un curieuse rétroaction du vrai : une fois qu'il est acquis, ce n'est plus la démarche qui explique la réussite, c'est la réussite qui impose ses normes à la démarche.
   On y trouve la structure du résultat/produit placé selon la formulation lacanienne du savoir/S2 ; le vraisemblable dans ce cas venant à la place de vérité.
 

Ce que Lacan appelle "assertion de certitude anticipée" ressemble à la "rétroaction du vrai" mentionnée par l'historien de la pensée G.Simon. On voit cette situation moderne mettre du 'vraisemblable" à la place de
 Vérité
cliquer l'image pour accéder à la formule lacanienne initiale des places /Truth)

 
   Et dans le passage qui fait suite , ayant rappelé que dans l'œuvre de Kepler... ... on retrouve toujours, comme foyer des intuitions et origine de la systématique, l'archétype de la sphère et sa signification symbolique et après démonstration, G.Simon conclut :
   Devant un opérateur aussi polyvalent que l'archétype de la sphère... ...une conclusion s'impose : c'est que les schèmes de pensée dont ils relèvent ne sont pas liés à un ou plusieurs objets spécifiques, mais à la rationalité de l'objet en général. On se trouve donc bien avec eux en présence d'une structure de l'objectivité, justiciable d'une approche de type transcendantal.

   Or on trouve là au contraire une défense de la position et démarche keplérienne ; de sorte qu'en réalité, l'extrait disqualifiant qui paraît central de l'argument de G.Simon, s'avère accommodé en éloge. On ne s'en étonne pas de quelqu'un qui écrit 500pages sur un sujet ardu, annonçant même qu'il poursuivra d'un second livre, soutienne l'œuvre qu'il analyse, mais il y a lieu de considérer si c'est ou non pour de seules raisons affectives que l'auteur hausse une idée qu'il qualifie lui-même de périmée, et de manière inavouée contre propre milieu ; car ce qu'il dénonce avec panache : gestation d'une physique mathématique à l'intérieur d'une logique du signe - est peut-être un panache qu'il rend à Kepler parmi les fondateurs d'une science moderne qui s'est plutôt vendue au refoulement depuis.
   En bref, dans la mesure où la science moderne s'élabore en rupture avec sa précession, elle n'a pas d'autre avenir que le mot 'fin'. Ce n'est que dans la manifestation de la mémoire qu'un développement vivant  s'exprime en conscience. La génétique aujourd'hui si centrale constitue ce qui s'appelle logique du signe ; et la cybernétique ce qui est une physique mathématique à l'intérieur. Certes la conscience peut ne s'avérer qu'au ressort de l'Inconscient - et c'est à ce concours que l'hermétisme actuel a été refoulé comme : fondation de la science moderne par quelques uns, de Copernic à Newton.
   Hal von Hofe resitue les papiers alchimiques de ce dernier, comme il en parlera à New York en termes de Littérature Grise.
   Rapprocher hermétisme actuel & Littérature Grise - c'est donner corps à ce que G.Simon a détecté en gestation. Déclarer l'hermétisme actuel : "fondation de la science moderne" - c'est en même temps déclarer que cette fondation est actuellement en pratique. J'ai été conduit à mentionner cette pratique par la nuance dans l'appellation du panpsychisme en planpsychisme étant cette même chose passée de la magie à la science.

 

DWT

 

 

DOCUMENTS

 ----- Original Message ----- 
From: viedereine 
To: hermetisme2006@yahoogroupes.fr 
Sent: Monday, November 08, 2004 5:24 AM
Subject: [hermetisme2006] Circuit

 

LA MAGIE CHRETIENNE DE LA RENAISSANCE

Par Patrick BOISTIER

D'après l'oeuvre de Frances A. Yates

(Professeur d'histoire de la Renaissance à l'université de Londres, membre de l'Académie britannique, membre de la Société Royale de Littérature, membre honoraire du Warburg Institute et du Lady Margaret Hall à Oxford)

1 - Giordano Bruno et la Tradition Hermétique, 1964

2 -La Lumière des Rose-Croix, 1972

3 - La Philosophie occulte à l'époque élisabéthaine, 1979

Au XVème siècle, en Italie, les études grecques furent puissamment encouragées par la venue, au concile chrétien de Florence, d'érudits byzantins (parmi lesquels Gémiste Plétho). Ces érudits apportèrent dans leurs bagages de nombreux manuscrits antiques qu'ils voulaient préserver de l'avancée des Turcs vers Constantinople. *

Cet engouement occidental pour la philosophie grecque, que l'Eglise romaine avait rejetée dans les ténèbres, suscita la création, par Cosme de Médicis, d'une académie platonicienne que le célèbre banquier florentin installa dans sa propre maison, Via Larga.

En 1460, alors que la quasi-totalité des oeuvres de Platon avait été rassemblée, et que le prêtre-médecin Marsile Ficin, financé par Cosme, s'apprêtait à les traduire, un manuscrit grec, provenant de Macédoine, fut apporté à Florence par un moine. Le précieux manuscrit comportait quatorze des quinze traités du Corpus Hermeticum (nom que l'on donne maintenant à l'ensemble des dialogues philosophiques attribués à Hermès Trismégiste, autrement dit Mercure " Trois fois Grand").

Les hommes du Moyen-Age et de la Renaissance étaient déjà familiarisés avec Hermès, grâce à Lactance et saint Augustin, Pères de l'Eglise qui avaient porté de l'intérêt à un texte hermétique intitulé Asclépius ou Parole parfaite. Ces deux-là avaient décrit Herrnès-Mercure comme un personnage véritable. Forts des témoignages de ces deux Pères, les contemporains de Marsile Ficin crurent donc à l'extrême importance des écrits hermétiques. L'équivoque persista près de deux siècles, donnant naissance à la Magie hermético-cabalistique dont il est question dans cette étude.

Pour Marsile Ficin et ses contemporains, Hermès avait été un prêtre égyptien de la plus haute antiquité, qui avait écrit lui-même les ouvrages qu'on venait de découvrir. En réalité, nous savons maintenant que les Hermetica en question furent écrites entre le IIème et le IIIème siècle de notre ère ; tous les spécialistes en conviennent depuis l'an 1614, date à laquelle Isaac Casaubon publia son De rebus sacris..., ouvrage dans lequel l'erreur de datation fut mise en évidence pour la première fois. Vers la fin de l'an 1462, Cosme de Médicis, protecteur de Marsile Ficin, ordonna à celui-ci de traduire Hermès toute affaire cessante. En avril 1463, la traduction était achevée... Ensuite seulement, Ficin traduisit Platon.

***

Marsile Ficin avait été placé par Cosme à la présidence de son académie platonicienne. Au nombre des personnalités que le cercle accueillit, il faut citer le célèbre Jean Pic de La Mirandole.

Vivant dans le même milieu florentin, Pic de La Mirandole (1463-1494), plus jeune que Ficin, mais intellectuellement précoce, devint son disciple. A l'abri du cénacle mis à leur disposition par les Médicis, ils se mirent tous deux à étudier la pensée hermétique, voyant dans Platon l'un des derniers dépositaires de cette pensée... Nous savons aujourd'hui que ce fut le platonisme - tout au contraire - qui, adopté au christianisme, inspira l'hermétisme. Cependant, les deux hommes, de bonne foi, découvrirent dans l'hermétisme une gnose liée à une organisation astrologique du cosmos, ainsi qu'à l'existence supposée d'effluves se déversant continuellement sur la Terre depuis les étoiles.

Toutes ces considérations poussèrent Marsile Ficin et Pic de La Mirandole à s'intéresser de près à cette gnose magique. Or, on sait que, depuis le Vème siècle de notre ère, dans l'Occident christianisé par les empereurs Constantin et Théodose, la Magie était prohibée en tant que pratique démoniaque. Le sujet était donc dangereux à aborder. Néanmoins, en se fiant à un commentaire de Plotin tiré de l'Ennéade (IV/3, XI), les deux hommes admirent que si de mauvais prêtres égyptiens avaient pu recourir à une magie démoniaque, Hermès Trismégiste n'était pas du nombre : son pouvoir lui venait seulement de sa compréhension du Monde et de " l'Un qui est Tout ". Le Mage était donc celui qui parvenait à joindre les choses d'en-haut aux choses d'en-bas.

Ils furent alors convaincus qu'il existait deux types de magie :

1 - la démoniaque, qui est maléfique, et qu'on doit rejeter;

2 - la naturelle, qui est utile et nécessaire au genre humain.

Pour Marsile Ficin - qui, prudemment, ne livra sa pensée que beaucoup plus tard, en 1489, dans un traité de médecine intitulé Libri de Vita - la magie naturelle et bienfaisante faisait appel à la notion d'un spiritus mundi ( ou "esprit du monde ") en tant que canalisateur de l'influence des astres... Pour capter ce spiritus mundi, Ficin préconisait deux méthodes :

1 - la méthode sympathique, fondée sur les talismans ;

2 - la méthode incantatoire, fondée sur des hymnes et des invocations.

Pour Marsile Ficin, la magie naturelle transmise par Hermès Trismégiste était partie intégrante d'une tradition de sagesse se poursuivant en une chaîne ininterrompue jusqu'à Platon. On peut citer, à travers les écrits de Ficin, de nombreux témoignages soutenant que la théologie primordiale, parallèle à la tradition hébraïque retenue par les chrétiens, avait été révélée simultanément aux autres peuples, avec Zoroastre chez les Perses et Hermès chez les Egyptiens, et qu'elle s'était développée ensuite dans le monde païen avec Orphée, Aglaophème, Pythagore et Platon.

Cette idée d'une antique philosophie remise au goût du jour par Marsile Ficin est désignée par les historiens modernes sous le nom de " néoplatonisme de la Renaissance ".

Ficin prit toujours un soin extrême à présenter ce néoplatonisme comme compatible avec le christianisme.

***

Pic de La Mirandole fut plus audacieux!

Dans cette atmosphère de néoplatonisme florentin, avec son fondement hermétique, il ne fut pas difficile au jeune prodige " d'intégrer la kabbale hébraïque que l'on croyait être une tradition de sagesse antique provenant de Moïse, et qui en fait possède des éléments gnostiques que les lettres de la Renaissance pouvaient assimuler au gnosticisme de type hermétique ".

La kabbale à laquelle Pic de La Mirandole se référait était la kabbale hébraïque, telle qu'elle s'était développée en Espagne avant et jusqu'à l'expulsion des Juifs, en 1492. Mais il l'avait interprétée de manière chrétienne, car il pensait que la " Cabale " confirmait - par manipulation de lettres - la véracité de la notion de Jésus fils de Jahvé, et, par implication, l'authenticité du christianisme.

Dans son Discours sur la Dignité de l'Homme, publié dès 1487, Pic de La Mirandole avance tous les arguments principaux de la Magie: à savoir, il y a deux magies, l'une est l'oeuvre des démons, l'autre est une philosophie naturelle ; la bonne magie fonctionne par simpatia, " par la connaissance des rapports naturels qui irriguent la nature tout entière, des enchantements secrets grâce auxquels une chose sera attirée par une autre ".

Cependant, à en croire Pic, la magie naturelle est faible et ne peut conduire à un résultat efficace que si on lui adjoint la magie cabalistique, c'est-à-dire, pour un chrétien, la magie angélique.

D'après ce que l'on sait, les cabalistes prétendaient savoir se servir des noms secrets de Dieu et des anges, soit en les invoquant dans la langue hébraïque, soit par des ordonnances secrètes de l'alphabet hébreu. Les mauvais cabalistes invoquaient de la sorte les anges déchus ou les démons, tandis que les bons invoquaient les anges fidèles à Dieu. La magie naturelle de Marsile Ficin ne se servait que des causes intermédiaires, les étoiles. Avec Pic de La Mirandole, la magie cabalistique accède au monde supra céleste des pouvoirs divins et angéliques , elle est donc en mesure de réaliser des oeuvres qui sont hors de portée de toute magie naturelle.

* * *

En 1517 (année marquée par le début de la Réforme luthérienne en Allemagne), l'Allemand Johannes Reuchlin publia son De arte cabalistica, premier traité complet sur la Cabale écrit par un chrétien. Stimulé par la publication à Venise, en 1509, de l'oeuvre de Fra Luca Pacioli, De Divina Proportione, Reuchlin, dans son De arte, fait allusion à la conception pythagoro-platonicienne des nombres et des proportions, telle que l'architecte romain Vitruve l'avait transmise à la postérité. Reuchlin appuyait ainsi la conviction de Pic de La Mirandole, émise dans ses Conclusions mathématiques, selon laquelle " Par les nombres, nous avons un moyen de recherche et de compréhension de toute chose capable d'être connue ! ". Ainsi, la numérologie pythagoro-platonicienne, renforçant la Cabale, favorisait une approche mathématique du Monde.

Autre héritier des spéculations de Luca Pacioli, le célèbre artiste allemand Albrecht Dürer, après un séjour en Italie (de 1505 à 1507), devint le chef de file septentrional de la théorie mathématique de la "Divine Proportion" basée sur l'harmonie du macrocosme et du microcosme. Dürer interpréta en termes géométriques subtils les proportions du corps humain en relations avec les lois gouvernant le cosmos, telles que ces dernières furent établies, selon lui, par celui que les moines-constructeurs du Moyen-Age appelaient déjà "l'Architecte de l'Univers ". Dürer considérait l'art comme une puissance, et l'essence du pouvoir esthétique se trouvait dans les nombres et la géométrie (la traduction française de son ouvrage intitulé De la proportion de l'homme date de 1561).

Mais il appartint au franciscain Francesco Giorgi, de Venise, d'intégrer pleinement à la philosophie hermético-cabalistique de la Renaissance la tradition pythagoro-platonicienne de l'harmonie du Monde et de l'Homme. Pour Giorgi, cette harmonie tirée de la théorie architectonique de Vitruve, avait une signification religieuse reliée au temple de Salomon. Le fondement de la conception du Monde de Giorgi était le nombre, car il pensait que l'Univers était construit " par son Architecte comme un Temple parfaitement proportionné, en conformité avec les lois inaltérables de la géométrie cosmique ". Ses principaux ouvrages publiés furent le De harmonia mundi (première édition en 1522) et le Problemata (1536).

Avec Giorgi, l'amalgame éthico-religietix de la Renaissance prit une nette orientation chrétienne particulièrement sensible dans la dernière partie du De harmonia mundi.

* * *

La grande synthèse de la Magie chrétienne fut finalement réalisée par le protestant allemand Henry Cornelius Agrippa (1486-1534).

La première version de son De occulta philosophie remonte à 1509 - 15 0 , mais l'ouvrage, continuellement remanié, ne fut publié qu'en 1533.

Dans les deux premiers chapitres du De occulta philosophie, Agrippa expose les grandes lignes de sa pensée... L'Univers est divisé en trois mondes: le monde élémentaire, le monde céleste et le monde intellectuel. " Chacun des mondes reçoit les influences de celui placé au-dessus de lui ; pour qu'ainsi la vertu du Créateur descende par l'intermédiaire des anges dans le monde intellectuel, par les étoiles dans le monde céleste, et de là, par les éléments et par toutes choses qui en sont composées, dans le monde terrestre ".

En accord avec cette conception, l'oeuvre d'Agrippa est divisée en trois livres. Le premier livre porte sur la magie blanche, ou magie "ficinienne" dans le monde élémentaire ; il apprend à agencer les substances en accord avec les attraits occultes qui existent entre elles, afin de pouvoir effectuer les opérations de magie blanche. Le second livre traite de la magie céleste, ou comment attirer et utiliser l'ascendant des étoiles. Agrippa appelle ce genre d'opérations "magie mathématique", car elles dépendent des nombres. Le troisième livre concerne la magie rituelle ou la magie dirigée vers le monde supra céleste des esprits angéliques, derrière lequel se trouve l'opifex unique ou le Créateur lui-même . Cette magie rituelle dépend - selon Agrippa - de la manipulation des lettres hébraïques, ayant chacune une valeur numérique.

Cornelius Agrippa voyagea beaucoup. Il eut de nombreux contacts avec les adeptes de la Magie ; et on trouve dans son oeuvre les influences incontestables de Marsile Ficin, de Pic de La Mirandole et de Johannes Reuchlin, mais aussi celle de l'humaniste hollandais Erasme. Avec Cornelius Agrippa, " le magicien appararaît alors comme un " érasmien " de la religion réformée, associant un humanisme de la pré-Réforme à une tentative de fournir une philosophie "puissante" pour accompagner la réforme évangélique ".

* * *

Passons maintenant en Angleterre :

Le philosophe caractéristique de la Magie de la Renaissance y fut John Dee (1527-1608). Le personnage fit irruption dans le monde de l'occultisme en 1558, par la publication de ses Aphorismes, ouvrage qui servit d'introduction à une oeuvre ultérieure, le Monas hieroglyphica, publié en 1564. Ce dernier ouvrage porte pour titre le nom d'un curieux diagramme astrologique qui, d'après certains érudits (C. H. Josten), " peut être expliqué mathématiquement, de manière cabalistique, et par anagogie " . Le texte explicatif de John Dee est obscur, et laisse le lecteur dans l'expectative.

Beaucoup plus compréhensive est sa Préface à la traduction anglaise des Eléments de géométrie d'Euclide, faite par Henry Billingsley, et publiée en 1570. Cette Préface de John Dee débute par une invocation au "Divin Platon", et cite les trois mondes d'Henry Cornelius Agrippa. L'intérêt porté aux nombres comme étant la clef de l'Univers - déjà apparente chez Reuchlin dans son association significative du pythagorisme et de la Cabale " est mis en avant par Dee dans une direction encore plus intensément mathématique. La Préface contient de nombreuses citations de Vitruve, et Dee se conforme à son enseignement lorsqu'il pense que l'architecture est la reine des sciences et celle à laquelle se rattachent toutes les autres disciplines mathématiques ". Bien que le seul cabaliste qu'il mentionne soit Cornelius Agrippa, il ne fait aucun doute que, pour la théorie des proportions, Dee se réfère à l'artiste et au théoricien allemand Albrecht Dürer.

Un autre aspect très important de la pensée de John Dee était sa croyance en l'alchimie, autre art hermétique. Les études poursuivies avec son collaborateur Edward Kelly incluaient non seulement la magie des anges, mais aussi, et avant tout, l'alchimie. Son associé Kelly était un alchimiste notoire, et était supposé, selon la rumeur, avoir réussi à effectuer des transmutations et à faire de l'or. La cabale pratique et l'alchimie pratique semblaient donc aller de pair dans l'association Dee-Kelly.

Cabaliste chrétien, John Dee avait - comme Cornelius Agrippa - une certaine inclinaison pour l'évangélisme et la réforme "érasmienne".

De 1583 à 1589, John Dee quitta l'Angleterre pour le Continent. Il demeura plusieurs années en Bohème, dans une famille noble dont les membres s'intéressaient à l'alchimie et aux autres sciences occultes. Un observateur de Prague a écrit que le "Docteur Dee" y avait prédit qu'une réforme miraculeuse allait bientôt se produire dans le monde chrétien. Il ne parlait évidemment pas de la Réforme luthérienne qui avait commencé en 1517. Mais on sait que les célèbres Manifestes de la Rose-Croix furent publiés quelques temps après, en 1614, 1615, et en 1616, par un cercle restreint de luthériens de Tübingen (en Allemagne). Or, il a été démontré que ces Manifestes étaient fortement influencés par la philosophie de John Dee, et que l'un deux - Les Noces chimiques de Christian Rosencreutz, écrit par Jean-Valentin Andréa - contenait une version du Monas hieroglyphica . Les Manifestes de la Rose-Croix faisaient eux aussi appel à une réforme universelle par la Magie, la Cabale et l'Alchimie.

* * *

L'un des derniers défenseurs de la Magie chrétienne de la Renaissance fut Robert Fludd (1574-1637).

Après lecture des Manifestes Rose-Croix, le moyen normal de prendre contact avec les Frères " invisibles " était de publier des textes s'adressant à eux ou exprimant de l'admiration à leur égard. Robert Fludd a donc commencé sa carrière rosicrucienne en publiant deux oeuvres exprimant son admiration pour les Frères Rose-Croix et les buts indiqués dans les Manifestes :

- En 1616, Apologia Compendiaria Fraternitatem de Rosae Cruce suspicionis et infamiae maculis aspersam, veritatis quasi Fluctibus abluens et abstergens (Apologie succincte de la Fraternité de la Rose-Croix, aspergée par la fange de la suspicion et de l'infamie, mais maintenant lavée par les eaux de la vérité).

- En 1617, Tractatus Apologeticus Integritatem Societatis des Rosea Cruce (Traité Apologétique pour la Société de la Rose-Croix ").

Notons que ces deux petits traités, en latin, furent édités par Godfrey Basson, à Leyde en Hollande. Pour Robert Fludd comme pour ses prédécesseurs, il y a deux sortes de magie: l'une bienfaisante, l'autre néfaste à l'homme. Les Frères Rose-Croix ne s'adonnent qu'à la bonne magie, mathématique et mécanique, ainsi que cabalistique (celle qui enseigne comment invoquer les noms sacrés des anges). Passant en revue les arts et les sciences, en soulignant qu'il faut les améliorer, Fludd établit la liste des arts mathématiques : la géométrie, la musique, l'art militaire, l'arithmétique, l'algèbre, l'optique... " La plaidoirie de Fludd pour la réforme des sciences a un son baconien et peut avoir été en partie influencée par The Advancement of Learning (1605). Mais l'accent mis sur les mathématiques et l'invocation des anges est dans la ligne de Dee, et c'est son type de programme intellectuel que Fludd discerne dans les Manifestes rosicruciens " (F. Yates).

Quelques années plus tard, Robert Fludd prétendit qu'il n'avait reçu aucune réponse des Frères Rose-Croix, bien qu'à son avis leur "Pansophie ou connaissance universelle de la Nature" fut assez semblable à sa propre philosophie.

Puis, fut publié le monumental Utriusque Cosmi Historia, traité en deux parties Histoire du Macrocosme ( 1617-1618) ; Histoire du Microcosme (1619). Encore une fois Frances Yates nous confirme que " L'Histoire des deux Mondes, de Fludd, est une présentation générale de la Magie et de la Cabale de la Renaissance, avec addition d'éléments tirés de l'alchimie paracelsiste et des développements introduits par John Dee dans ces traditions [... ] La philosophie de Fludd était vraiment une philosophie rosicrucienne, c'est-à-dire une remise à jour de la philosophie de la Renaissance ".

* * *

Robert Fludd et les Rose-Croix représentaient bien la Magie chrétienne de la Renaissance, telle qu'elle avait été conçue par Ficin, avec toutes ses ramifications cabalistiques ou autres.

La première critique de ce mouvement fut menée dès le début du XVIIème siècle par le Français Marin Mersenne " un chrétien des plus pieux, doublé d'un enquêteur scientifique acharné, ami de Descartes et de Gassendi, et admirateur de Galilée ".

En 1630, Mersenne accusa Fludd (accusation parfaitement justifiée) de donner aux écrits du "pseudo-Trismégiste" la même autorité que celle des Ecritures, alors que ces écrits n'avaient plus aucune valeur depuis que Casaubon les avait démasqués et datés du IIème siècle de notre ère. Avec les révélations d'Isaac Casaubon, toute la tradition de l'hermétisme de la Renaissance toucha à son terme... Toutefois, même sans Hermès, les pseudo-sciences de l'occultisme que sont la Magie, l'Astrologie, la Cabale et l'Alchimie, avaient encore de beaux jours devant elles!

Néanmoins, le rationalisme scientifique commençait à montrer le bout de son nez. De toutes les controverses suscitées par Fludd, la plus célèbre l'opposa à Johannes Képler... " Dans un appendice à sa grande oeuvre, l'Harmonia Mundi, Libri V (1619), Képler s'attaqua à Fludd ; celui-ci répliqua dans un traité inséré dans le deuxième volume (1621 ) de son Utriusque cosmi.… historia. Képler répondit par une Apologia (1622) à laquelle Fludd riposta une fois de plus dans son Monochordum Mundi (1622). Le puissant mathématicien qui découvrit les orbites elliptiques des planètes n'avait en aucune façon échappé aux influences de la Renaissance dans sa perspective générale. Son héliocentrisme avait un arrière-plan mystique ; il accueillit dans l'extase sa grande découverte sur les orbites planétaires comme la confirmation de la musique des sphères, et on trouve, dans ses théories, des survivances de l'animisme. Cependant, Képler avait une perception extrêmement nette de la différence entre les authentiques mathématiques, fondées sur les mesures quantitatives, et l'approche mystique, "pythagoricienne" ou "hermétique" des nombres. Il vit clairement que la différence essentielle entre lui-même et Fludd résidait dans leur approche divergente des nombres, la science étant mathématique et quantitative, tandis que celle de Fludd était pythagoricienne et hermétique. Les analyses magistrales que Képler rit de ces différences dans ses réponses à Fludd mirent pour la première fois en lumière ce problème et rendirent un grand service aux mathématiques authentiques en les libérant pour la première fois des accumulations séculaires de la numérologie ".

Pour finir, il nous faut souligner une anecdote qui, bien que d'apparence anodine, marque peut-être un grand tournant de l'Histoire : le passage de la magico-science à la science expérimentale des temps modernes. L'anecdote met en opposition la Rose-Croix et la Royal Society anglaise (créée officiellement à Londres, en 1662).

De 1648 à 1659, à l'époque où la Royal Society n'existait encore que sous la forme d'un" Collège Invisible", ses membres se réunissaient à Oxford, au Wadham Collège, dans la classe du Docteur John Wilkins (plus tard évêque de Chester).

En 1648, John Wilkins fit paraître un livre, Mathematicall Magick , dans lequel il cite la Fama Fraternitatis des Rose-Croix en tant que manifeste précurseur du mouvement oxfordien. Le fond de cet ouvrage est largement basé sur le chapitre traitant de la mécanique dans l'Utriusque Cosmi Historia de Robert Fludd (1619), ainsi que sur les mathématiques "vitruviennes" de la Préface à Euclide de John Dee (1570). " Wilkins - nous dit F. Yates - ne cache pas sa dette envers Dee et Fludd, et les cite souvent l'un et l'autre. Il fait preuve dans ce livre d'un très grand intérêt pour les automates, les statues parlantes, etc., fabriqués grâce à la magie mécanique [... ] Dans ce livre, Wilkins... ne séparait pas la science de Bacon de la tradition Fludd-Dee... [et] Cornelius Agrippa ".

En 1652, sous le pseudonyme d' "Eugenius Philalethe", Thomas Vaughan (protégé par Sir Robert Moray) publiait, ses traductions anglaises de la Fama et de la Confessio, rendant ainsi les Manifestes de la Rose-Croix accessibles à un plus large public.

La diffusion publique de ces Manifestes incita un puritain dévot, John Webster, à publier en 1654 son Academiarum Examen, dans lequel il réclame que " la philosophie d'Hermès, ressuscitée par l'école paracelsiste ", soit enseignée dans les universités. Il esquisse la nomenclature des sciences mathématiques abordées par " cet expert et érudit, le Docteur John Dee dans sa préface à Euclide ", et vante les " excellentes admirables et profitables expériences " que l'on peut en tirer. Il se réfère aussi au " très érudit Docteur Fludd " et - nous dit F. Yates - " laisse l'impression que si de tels auteurs étaient enseignés dans les universités (c'est-à-dire un amalgame de la pensée de Paracelse, d'Agrippa et de la tendance magico-scientifique de la Renaissance) les "arcanes et les magnalia de la Nature " préconisés par Francis Bacon atteindraient la perfection ". Mais Webster se trompe, car - ajoute F. Yates - " Webster ignore le fait que Bacon a catégoriquement pris position contre la philosophie des paracelsistes et semble avoir l'impression que Bacon peut être concilié avec ces derniers. Il paraît aussi négliger l'omission des mathématiques de Dee dans l'oeuvre de Bacon ".

La même année (1652), la réplique vint de Seth Ward, membre du "Collège Invisible", dans son Vindiciae Academiarum. La critique de Ward est très sévère à l'encontre de Webster, lui reprochant d'avoir assimilé Bacon à Fludd: " Il n'y a pas au monde de voies plus opposées que celles de Lord Verulam [F. Bacon] et du Docteur Fludd, l'une étant basée sur l'expérience et l'autre sur des raisons mystiques idéales ". Seth Ward se montre choqué par le " Discours hypocrite de Webster sur le langage de la Nature dans lequel il donne son assentiment à la très illustre Fraternité des rosicruciens "... A travers Webster, n'était-ce pas à son collègue John Wilkins, partisan d'une certaine "magie mathématique", que Seth Ward s'adressait ?

Son langage, contredisant celui de Wilkins, n'impliquait-il pas une nouvelle prise de position de la part de certains philosophes naturalistes du Collège Invisible, les dits philosophes voulant se départir autant que possible de l'imputation de magiciens ?

A cette fin, ils débarassèrent leurs travaux de toute référence à la Préface à Euclide de John Dee , ainsi qu'à la tradition magico-alchimiste de celui qu'ils désignèrent comme un "puritain hypocrite" ou "un triste moine". Parallèlement, ils intensifièrent leur interprétation de la pensée baconienne et reconnurent en Francis Bacon le maïtre de la " philosophie expérimentale ".

En 1662, la société du "Collège Invisible" prit le nom de Royal Society of London.. En 1667, dans l'ouvrage que lui consacra Thomas Sprat, l'auteur ajouta cette précision significative : For the advancement of experimental philosophy . Cependant, la Royal Society allait bientôt laisser loin en arrière "l'expérience baconienne", car la seconde généraion de ses membres fut dominée par l'extraordinaire figure d'Isaac Newton. Celui qui fut l'un des plus grand génie de la science de mathématiques devint président de la Royal Society en 1703, à l'aube du siècle des "Lumières".

 

 

----Message d'origine-----
De : hal [mailto:h169@sbcglobal.net]
Envoyé : lundi 8 novembre 2004 21:28
À : hermetisme2006@yahoogroupes.fr
Objet : Re: [hermetisme2006] Circuit


l'an 1614, date à laquelle Isaac Casaubon publia son De rebus sacris..., ouvrage dans lequel l'erreur de datation fut mise en évidence pour la première fois

 

voyez:

 

http://www.dnafoundation.com/members/akh/8artic/8tri.htm

 

<< It is with this single strike that the Renaissance has been stopped.
Evidently Modern Science bursted then, yet
without history
and after an Alchemy which had lost its head
- it still goes blind today.
Yates made also notice of the political opportunity
that the Western World had scuttled in that repression.
>>

 

hal