Alan Turing 1950 - Les Ordinateurs et l'Intelligence

Tableau de lecture

  Section 1
Le jeu de l'imitation
Section 2

Cybernétique et Psychanalyse

- - - - - - - Une lecture par DWT pour une étude des Temps Présents - - - - - - - 


De la psychologie homme/femme à l'informatique de Turing


 

   La première section de "Les Ordinateurs et l'Intelligence" écrit par de Alan Turing en 1950 a entraîné un "remarquable" enthousiasme de la part des psychanalystes et particulièrement des lacaniens dont le maître en 1960 soulignait la clé donnée par Alan E.Poe dans "La Lettre Volée". Il plaçait l'imitation comme la solution-clé d'un dénommé jeu pair-impair. Cette solution, avait conclu (pratique) Lacan, aboutissait à la conclusion (idéale) que les ordinateurs réaliseraient des (psych)analyses en détectant plus efficacement que l'être humain lui-même le refoulé de son Inconscient. Or Turing intitule sa première section "Le jeu de l'imitation"
   Cependant on remarque que la manière dont procède ledit remarquable de la réaction des psychanalystes à la suite de l'article lacanien de 1960 s'indique par l'absence (de l'enthousiasme, inévitable pourtant). Nous sommes ainsi introduits à l'intrigante énigme de l'imitation de quelque chose qui manque.
 

   Notre travail aujourd'hui est autant de comprendre comment la vie de Turing aboutit aussi lamentable que l'enseignement de Lacan aussi inhibé.
   Pour commencer à savoir si les machines peuvent penser, Lacan sera parti d'un manège à trois termes s'autoreconduisant (ce qu'il appellera triade reproduite en successions dites brunniennes). Turing au préalable avait  également posé un jeu de trois : A, B et C, que nous appellerons aujourd'hui : Y, X et C - c'est à dire un homme H, une femme F et C l'interrogateur. Le problème que l'interrogateur doit résoudre est de savoir si Y est bien homme ou femme et inversement.

   A ce rôle de C s'ajoute les rôles respectifs de Y et X à savoir : pour l'homme, d'induire C en erreur et pour la femme au contraire, d'aider l'interrogateur. Par exemple, à la question de C « Quelle est la longueur de vos cheveux? » Y répondra « Mes cheveux sont coupés à la garçonne.» Ainsi le problème de l'interrogateur peut-il être posé, d'autant que de l'autre côté, X aura beau dire « Je suis la femme, ne l'écoutez pas! » Turing note que l'homme peut dire la même chose de sorte que C ne peut pas s'y fier.
   Telle est donc la première section de l'article et on pourrait trouver son 'jeu' plutôt brouillon s'il n'indiquait pas la beaucoup plus rigoureuse énigme connue des deux sphinges, l'une mentant toujours et l'autre disant toujours la vérité, auxquelles d'une seule question à l'une ou l'autre Oedipe doit trouver le bon chemin qu'il prendra
(La Sainte Éthique permet grâce à la solution de trouver le chemin de la psychologie collective). Toujours en défaveur de la description de Turing, elle permet mal de distingue pourquoi on l'appelle "jeu de l'imitation". Ce n'est qu'à la fin de la section que Turing rehausse et relance sa démonstration. Il indique que cette mise en scène mal ficelée n'a été composée que pour recevoir son terme absolument effectif : que se passe-t-il si à la place de l'homme on met une machine?
 

 

   Ce que Turing a dénommé "Jeu de l'imitation" a pour but de répondre à la question : « Les machines peuvent-elles penser?» Comme il estime que les significations tant du mot 'machine' que de celui de 'penser' sont trop incertaines, il entreprend de composer une mise en scène qui produira la réponse - du moins l'espère-t-il comme bon mathématicien qui compose une formule 'abstraite' pour résoudre un problème d'une autre nature, 'concrète'.
   Ainsi une seconde section est-elle ouverte qui va, elle, placer l'imitation en système et, cette fois, décisivement dépasser le jeu de la vérité et du mensonge en même temps que justifier du titre que Turing a donné à son jeu.
 

 


Annexes

a)

Vers    Réflexions / Littérature Grise   DWT

 

b)

 Source

texte original de Turing section 1
traduction Patrice Blanchard

1. Le jeu de l'imitation

   Je propose de considérer la question: «Les machines peuvent-elles penser? » Il faudrait commencer par définir le sens des termes « machine» et « penser ». Les définitions peuvent être conçues de manière à refléter, autant que possible, l'utilisation normale des mots, mais cette attitude est dangereuse. Si on doit trouver la signification des mots « machine» et « penser » en examinant comment ils sont communément utilisés, il est difficile d'échapper à la conclusion que la signification de la question «Les machines peuvent-elles penser?» et la réponse à cette question doivent être recherchées dans une étude statistique telle que le sondage d'opinion. Mais cela est absurde. Au lieu de m'essayer à une telle définition, je remplacerai la question par une autre, qui lui est étroitement liée et qui est exprimée en des termes relativement non ambigus.

   Le problème reformulé peut être décrit dans les termes d'un jeu que nous appellerons le «jeu de l'imitation ». Il se joue à trois: un homme (A), une femme (B) et un interrogateur (C) qui peut être de l'un ou l'autre sexe. L'interrogateur se trouve dans une pièce à part, séparé des deux autres. L'objet du jeu, pour l'interrogateur, est de déterminer lequel des deux est l'homme et lequel est la femme. Il les connaît sous les appellations X et Y et, à la fin du jeu, il doit déduire soit que « X est A et Y est B », soit que «X est B et Y est A ». L'interrogateur peut poser des questions à A et B de la manière suivante:
   C : X peut-il ou peut-elle me dire, s'il vous plaît, quelle est la longueur de ses cheveux?
   A supposer à présent que X soit vraiment A, alors A doit répondre. La finalité du jeu pour A est d'essayer d'induire C en erreur. Sa réponse pourrait donc être:
   A : « Mes cheveux sont coupés à la garçonne et les mèches les plus longues ont à peu près vingt centimètres de long. »
   Pour que le ton de la voix ne puisse pas aider l'interrogateur, les réponses devraient être écrites ou, mieux, dactylographiées. L'installation idéale serait un téléimprimeur communiquant entre les deux pièces. A défaut, les questions et réponses peuvent être répétées par un intermédiaire. L'objet du jeu pour la joueuse (B) est d'aider l'interrogateur. La meilleure stratégie pour elle est probablement de donner des réponses vraies. Elle peut ajouter à ses réponses des choses telles que: «Je suis la femme, ne l'écoutez pas! », mais cela ne servira à rien, car 1 'homme peut faire des remarques similaires.

   Nous posons maintenant la question: «Qu'arrive-t-il si une machine prend la place de A dans le jeu? L'interrogateur se trompera-t-il aussi souvent que lorsque le jeu se déroule entre un homme et une femme? » Ces questions remplacent la question originale: «Les machines peuvent-elles penser?»

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