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T E L E M E D E C I N E PSY |
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ALLO JE VOUS ÉCOUTE... Et la séance commence, dans son bureau ou dans ses
pantoufles, l’analysant confie au combiné téléphonique des mots que son
analyste, là-bas au bout du fil, l reçoit et éventuellement renvoie sous
forme d'interprétation. Innover, en matière de psychanalyse, est périlleux
c'est tout juste si pour certains tenants de la tradition freudienne, Jacques
Lacan n'était pas déjà un nouveau thérapeute. Depuis six mois, le docteur
P.F., psychanalyste, membre d'une association d’analystes, parisien exilé en
province, hésite entre l'audace et l'orthodoxie. ll a mis son nom dans
l'annuaire à la rubrique psychanalystes, il a placé des petites annonces
dans la presse pour proposer sa Loganalyse, et a pris contact avec le journal
Psychologies pour que son entreprise ait des échos auprès d'un vaste public.
Mais il a préféré ne pas appeler psychanalyse ce travail téléphonique qui,
s'il respecte en gros les principes et la théorie du rendez- vous à heure
précise, à l'association libre d'idées, en diffère par deux détails qui ont
toujours été observés sans pour autant avoir été érigés en dogme: la
présence corporelle des deux protagonistes dans la même pièce et le coup de
sonnette de l’analysant à la porte de l'analyste (devenu sonneries du
téléphone retentissant chez l’analysant à l'initiative de l'analyste).
C'est par prudence que le docteur P.F. appelle sa forme dérivée de
psychanalyse loganalyse - ayant utilisé pour créer ce néologisme le radical
" log ", qui renvoie aussi bien à logos (du grec: 'parole')
qu'à la logique (du lacanien: logique du signifiant), mais estompe dans sa
formulation du moins l'aspect psy de la chose.
C’est par audace que le
docteur P.F., lecteur dès son plus jeune âge du livre de Georges Orwell 1984,
a conçu le projet de rendre présente la psychanalyse sous une forme
technologique dans la véritable année 1984, utilisant aussi les principes de
la novlangue pour fabriquer le mot loganalyse. C’est par prudence que le
docteur P.F. ne fait de la loganalyse qu’à une séance sur trois et qu'il demande à un groupe d'analystes leur consensus si ce n'est leur contrôle de la
pratique de son innovation : en analyste et en ex-analysant; il ne peut pas ne
pas savoir qu’il faut toujours se méfier de ces bonnes idées parce qu'on ne
sait jamais trop bien de quel replis de l’inconscient elles viennent ni de
quels fantasmes elles s’alimentent. C'est par hasard que le docteur P.F. n’a
pas encore eu de friture sur sa ligne ni une autre conversation superposée à
la parole de son patient, et sa patience à lui ne semble pas entamée quand il
doit rappeler plusieurs fois avant d’entendre autre chose que le discours peu
analytique du disque PTT: « Par suite d’encombrement votre demande ne peut
aboutir » il rappelle ultérieurement. Par contre, son petit bilan, après à
peine sept mois de pratique et six patients environ, lui paraît positif : il a
le sentiment que certains analysants confient plus volontiers à l’ébonite
leurs paroles et il se sent, lui, particulièrement réceptif aux mots qui lui
arrivent grâce à l’invention d’Edison and Co. Il constate que, pour ses
patients, leur décor familier leur suggère parfois des associations ou des
idées différentes de celles qu’ils auraient eues chez lui et le fait de ne
pas avoir son analysant allongé sur son divan avec sa masse physique, sa chaleur,
son odeur, ses gestes, lui permet, à lui, de mieux entendre ce qui se dit. Mais
pour autant il ne se sent pas en mesure de supprimer le rituel de la poignée de
main, il compte sur les jours où l’analysant vient chez lui pour régler ses
comptes (les séances téléphoniques coûtent le même prix que les autres) et
il ne facture pas sa note téléphonique. Finalement, du moins telle que la
pratique le docteur P.F., la loganalyse n’est pas particulièrement
révolutionnaire, ni iconoclaste ; reste à voir si d’autres iront plus loin
tout en continuant à faire de la psychanalyse.
interview A. Blancaud 14 sept 1984