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Version française
GL5
Ci-dessous ma traduction de la conférence à
Amsterdam Décembre 2003, de HvH, |
La Littérature Grise - écrite LG
- que produisent les corps sociaux, enregistre et révèle des communications et
des interactions qui resteraient autrement mal mémorisées, voire sans souvenirs
ni traces. Ainsi la LG (Littérature
Grise) offre à l'analyse une
forme de mémoire plurielle et/ou alternative.
L'appareil
cybernétique (écrit LAPAREIL)
qui inclut le réseau du téléphone, a grandement facilité et amplifié la production de
LG.
On analysera ici, sur la base d'une production de LG
durant période de 16années, les effets de l'introduction de LAPAREIL
(ordinateurs, internet) sur un programme d'école spécial (programme alternatif
"Horizon") au sein de l'école Brandford High, corps social du
Connecticut, appartenant à un milieu américain relativement aisé de 30.000 hab.
Branford High inclut
approx 1.000 étudiants, 80 cadres et une vingtaine d'administrateurs. Le
programme Horizons accueille une 60aine d'étudiants identifiés comme à
risque ou avec difficultés d'apprentissage - expressions parmi
d'autres de sa LG. C'est une d'école dans l'école,
comportant 8 enseignants et 1 administrateur. J'y ai officié comme professeur d'anglais et de littérature ; d'où je
tire mon
observation.
Selon le guide de la conférence GL5, la LG est définie comme l'information produite à tous niveaux du gouvernement, des académies, des affaires et de l'industrie, électronique ou imprimée et qui ne soit pas sous contrôle de publications commerciales . Je présente une observation théorique de ces quatre états de discours au sein de la littérature d'Horizons et de l'école Branford High.
Le programme
"Horizons", initialement nommé en 1973 "Etude
Base",
était institué pour des élèves tentés par la délinquance, afin de les ramener
de la
rue à l'école. Le programme fut aussi nommé "14-16" par allusion à ses
horaires mi-temps. En 1985 il passa plein-temps et fut renommé "Etude
Principale" en référence aux études centrales (Anglais, Math, Sciences
Sociales). Un an plus tard il fut dédoublé, en fonction d'étudiants plus jeunes
et plus âgés.
L
es programmes alternatifs, spéciaux ou adaptés, ont proliféré dans la deuxième moitié du siècle, en rapport avec une dite Rhétorique de Crise, très présente dans la LG du système scolaire américain. Ils ont d'ailleurs constitué une source de profit, sous la forme de programmes de formation divers et sous toutes sortes de noms. Cette Rhétorique de Crise ne s'exprime pas seulement à travers l'éducation, mais aussi bien au travers de la publicité américaine qui vante un produits par son aspect de nouveauté. On observe au cœur du 'modernisme', et du 'post-modernisme' - voire dès l''âge des Lumières' - pareille idée que l'équilibre des 4D est précaire ou en danger, suggérant que cette idée des 4D soit co-extensive à celle de civilisation ou de politique. Mais si la clientèle, les étudiants du
programme Horizons, se trouve certes au mitan d'une crise, c'est d'une crise
d'identification. Pour une raison ou pour une autre ces personnes ont choisi de
participer à l'école sur un mode négatif ;
leur LG, au lieu de s'orienter vers une littérature blanche ou Idéale a viré à un état que la loi
vide à éliminer. Au lieu d'être mère
nourrissante, l'école est devenue menaçante, un père maléfique (note/W.Théaux
: imagos
familiales qu'il convient peut-être de conscrire à l'énigme sémantique comme
: mâle et/ou que phi)
- formations se retrouvant en toute école, définie par (discours
de) la loi américaine
comme tenant-lieu parentale, nourrissante en éducation et formatrice en
discipline.
Nombres élèves résistent à
l'identification au bien ; ils y contreviennent en s'identifiant au
mauvais. Cette ambiguïté se retrouve jusque parmi les cadres. Pour mémoire
l'anecdote d'un stage de formation proposant à ces cadres d'évaluer une série de règlements
avant que, les ayant jugés excellents, leur soit révélé qu'il s'agissait de
règles d'un pénitencier.
Deux approches sont en usage dans les programmes alternatifs - soit le mode de règles strictes, soit celui d'adaptation flexible aux motivations de leurs étudiants. Horizons suit le second. L'usage du prénom, voire du surnom pour s'adresser au professeur, est encouragé - afin que, démarqués de nos prétendues identifications, nous entrions dans le gris de la lettre. Dans la ligne de cette question d'identification, l'attention au genre des professeurs, masculin ou féminin, s'est montrée organisatrice de la communication, et d'une efficacité remarquable sur les résultats des étudiants.
Comme je l'ai indiqué, le problème majeur des étudiants à Horizons se trouve dans un certain degré d'anomie - leur LG ne produisant plus , où virant à des graffitis, négativement perçus par l'institution. Pour surmonter cette résistance, ou ce blocage de l'écrit, mes cours ont toujours débuté par trois exercices en début d'année scolaire :
- Le premier consiste à lire un court extrait de style
d'associations libres d'auteurs comme Faulkner ou James Joyce ; puis de livrer
les étudiants à eux-même, face à une bonne pile de
feuilles blanches. Le but consiste à remplir autant de pages que possible sans
soucis d'orthographe, de style ou de grammaire. Il apparaît alors que les plus
résistants n'y cèdent qu'en persistant au travers de mécanismes de
répétition (listes de noms, répétitions indéfinies de mêmes phrases).
- Le second exercice débute aussi par des
pages blanches. L'une d'elles est mise de côté, tandis que sur les autres
l'étudiant écrit le plus d'observations possible concernant cette première
page isolée.
- Le troisième, de loin le plus
apprécié, s'appelle "histoire-claque" (story-slam), que je
vois comme une sorte de dispositif de génération de LG basique : une dizaine
d'étudiants avec le professeur, groupés autour d'une table, débutent l'histoire
par l'un d'eux qui écrit durant 3, 4 minutes. Il passe alors la feuille à
son voisin qui poursuit, durant 3, 4 minutes et ainsi de suite, sans
contrainte ni censure. Les noms des participants souvent figurent de manière
proéminente dans les histoires ainsi générées. Dans certaines occasions
j'interviens, d'une remarque privée à un étudiant, en marge de
l'écrit qui poursuit son développement.
Dans une seconde période, si les étudiants recommencent à devenir productifs, une autre résistance paraît : celle de l'école vis à vis de la LG produite. Ceci suggère une résistance originaire (où l'on reconnaît la description caractéristique par ailleurs du Transfert-contre-Transfert).
Une fois le programme Horizons doté d'ordinateurs, les étudiants publièrent un journal, nommé Horizons Times. Comme les Histoires-Claque, il n'était pas censuré, sinon par auto-censure. L'administrateur du programme, qui s'intéressait au projet, déchanta à la lecture du résultat, en réalisant qu'il ne conviendrait pas à une édition officielle. Bien qu'il fut amusant et bien fait, il avait un potentiel d'attirer la censure. Seul un nombre limité de copies à distribution privée fut en fin de compte réalisé. Un détour par la théorie pourra nous aider à présent à élucider la problématique de la résistance vis à vis de la production de LG. Examinons l'algorithme lacanien 4D, et comment il formule les quatre discours de la LG.
On y voit quatre termes (note/W.Theaux : que l'on appelait images dans l'ancien Art de la Mémoire) circulant sur quatre places produisant ainsi quatre configurations (note/W.Theaux : que l'on appelait aspects dans l'ancienne astrologie/nomie) :
S1 tient lieu de
Signifiant Primaire, la lettre
écrite, le mot épelé. S2 est le second signifiant qui est en
interaction
nécessaire avec le premier - il tient lieu par conséquent de Savoir. Le
S barré ($) indique le sujet de ce discours. Le
'a' ou abjet constitue
ce qui peut être un autre objectif - et par extension l'environnement.
La place de l'agent indique ce qui est au
motif de la pulsion du discours. Celle de l'autre indique ce qui est
réfléchi dans ce discours. Celle du produit indique ce qui est perdu de
la cause - généralement ce qu'on appelle son effet. La place de vérité
indique le motif de l'action du discours. (note/W.Theaux : j'ai
ici un peu altéré les termes de la définition de HvH, en concordance avec la
perpétuelle mutation dont la rotation des discours fait loi - particulièrement
pour lui, le produit "révèle" la cause et la vérité
indique l'"essentiel")
Opérons la rotation de ces images sur ces places, imitant la génération des quatre discours de la LG :
Le sujet du discours de l'académie (Academia; dit de l'Université en Lacanie), est en place du produit - c'est l'éduqué. Ce discours s'adonne à la production du sujet. S2 est en agent et la lettre, S1, en vérité. En place de l'autre est l'abjet, l'environnement, que la lettre délinée de la vérité. |
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La place du produit loge le savoir dans le discours de l'industrie (Industry; dit de l'Hystérique en Lacanie). En agent le sujet le produit et égard au savoir. C'est l'environnement qui délinée là la lettre. | ||||
Dans le discours du gouvernement (Government; dit du Maître en Lacanie), tout ce qui contient sujet, lettre et savoir - l'environnement - tient la place du produit. L'agent est la lettre - celle de la loi en l'occurrence - tenue par égard pour l'environnement ; tandis que le sujet délinée le savoir. | Le discours des affaires (Business; dit de l'analyste en Lacanie) loge la lettre en produit - voire en coût selon le Capital. L'environnement produit la lettre, égard à la lettre, et la vérité délinée le sujet selon le savoir. |
Le discours du gouvernement produit un environnement pour les quatre discours, son industrie le savoir, ses affaires ses valeurs et son académie son sujet - lequel enseignant, leader, cadre ou ouvrier selon ces discours. C'est avec ces quatre rôles que commence la problématique de la résistance.
(note/W.Theaux : HvH a mis le Discours du Gouvernement en première instance ; ce n'est que trop appelé par la situation du S1 en place d'agent pour qu'on n'y relève l'intrigue cachée par ailleurs - que j'ai choisie de voir dans l'association de rôles qu'il énumère - je suggèrerais qu'on vérifie du côté de Durkheim si la fonction de rôle est redevable, exclusivement ou non, du Discours du Gouvernement)
Les étudiants avec lesquels je travaille
résistent à l'identification à chacun de ces rôles - en fonction
d'une résistance antécédente à leur première tentative de production de LG.
Les deux modalités d'un programme alternatif
que j'ai mentionnées - à savoir protocole strict ou au contraire flexible -
donnent chacune l'occasion de revenir à une scène primitive éducative. Le premier mode offre à l'étudiant
la possibilité de s'identifier à un Idéal et de reprendre ainsi rôle dans le flux des discours
; dans la modalité flexible, c'est par la réanimation d'un désir que
l'étudiant peut réintégrer la dynamique rotative des quatre discours. Cette seconde approche vise à découvrir quelque
chose qui anime la littérature et ses discours :
L'acte de lire consiste à
traduire des signifiants en terme d'un signifié convenu par l'énoncé, mais
cache quelque chose dans cet acte-même - à savoir ce qui est signifié par
l'énonciation - mais que l'on trouve dans une forme dudit énoncé.
L'illustration du graffiti est exemplaire en cela.
Il est généralement considéré comme quelque chose de négatif, de l'ordre de
la dégradation - mais si nous mettons notre propre résistance de côté,
nous pouvons l'analyser comme
un premier état de LG .
Ce qu'on appelle un tag est certes signifiant mais ses lettres sont distordues et elles ne sont pas placées à un endroit préposé - ainsi la graffiti souligne-t-il une nature de signe qui échappe à une traduction conventionnelle. Une anecdote en témoigne : quand des salons de tatouage développèrent un tableau (probablement diffusé/démultiplié par l'Internet) de correspondances entre les lettres de l'alphabet et des idéogrammes chinois, on s'aperçut bientôt que ces tatouages n'avaient aucun sens. On se serait attendu à ce que les étudiants porteurs des tatouages en soient embarrassés, mais presque au contraire : la circonstance montrait que la fonction du signifiant avait été fixée par un arbitraire - celui du tableau en l'occurrence. En d'autres termes, ces étudiants et leur tatouage signaient l'arbitraire du signifiant.
Du point de vue des taggueurs que j'ai appris à connaître au fil des ans, leur activité est généralement artistique et créative en ce qu'ils transforment leurs oeuvres en signes. Sans perdre l'effet de reconnaissance qui résulte d'une répétition, le graffiti forme une affirmation de la production de la lettre - indiquant un retour à une scène primitive de la littérature. Même la culture en fait usage selon ses marques désignées par un logo en forme de lettre tagguée.
Il est intéressant de noter
que notre alphabet trouve probablement son origine dans une forme de
graffitis que l'on retrouve gravés dans des cavernes d'Egypte, quelque 1800ans
av.JC et qui représentaient des formes simplifiées de hiéroglyphes.
Cette analyse de l'usage du graffiti indique que la
lettre, voire la littérature, ne consiste pas en une seule relation binaire
entre du signifiant et du signifié, mais qu'une opération ternaire cache une
opération de code - (note/W.Theaux : laquelle
opération à l'examen montre un
chiffrage qui l'associe à l'Inconscient et qui d'autre part, permet de supposer
qu'on en éclairera la LG).
Il existe une autre chose qui met en évidence cette logique de code - inspirant la même sorte de jouissance qu'affiche l'artiste taggueur ; il s'agit de l'appareil cybernétique . C'est donc avec ces considérations théoriques en tête que j'ai encore ajouté cette observation de l'introduction de l'ordinateur à l'école :
Les américains ont une tendance à la technophilie.
Peu de temps après l'apparition des premiers ordinateurs, ils en équipèrent
leurs écoles et, en 1990, les informations administratives furent
transférée du papier à l'informatique. Vers la fin des 90s Branford fut
relié à l'Internet. Il y avait alors des ordinateurs dans pratiquement toutes les
classes. Ces installations rencontrèrent une certaine
résistance de la part de l'encadrement et des professeurs - et apparemment
moins de la part des étudiants ; mais ceux-ci étaient surtout intéressés, au
début par les jeux, puis quand l'internet fut accessible, par les sites
interdit dont la pornographie figurait l'emblème.
On installa des
murs-de-feu, bientôt dépassés, et puis de nouveaux (note/W.Theaux
: le tout exposant au total un mur-déphi) contre ce qu'ils gênent finalement les
recherches et navigations légitimes.
Mais l'usage de l'ordinateur à fin d'écriture a généralement augmenté la production estudiantine. On observe même l'emploi de polices-de-caractère à forte taille, afin de remplir plus d'espace. Beaucoup parmi ceux qui avaient des comportements inactifs ou passifs sont devenus les plus actifs sur l'appareil. On dirait qu'ils se sont réveillés comme par magie. Certains expliquent que c'est l'attrait des jeux qui motive cet engouement - personnellement, j'ai tendance à croire qu'il s'agit plutôt d'un charme émanant du jeu avec le code, caché dans la cybernétique, qui réconcilie désir & sujet, de l'étudiant dans ce cas.
Cet accroissement d'activité soulève encore d'autres problèmes et un soucis concernant le plagiat. Puisque copier-coller devient aussi facile que menace de le devenir la reproduction par clonage, on se demande quel va être le sort du surcroît d'effort que demandent métaphores, paraphrases, et tout ce que le copyright maintient encore à peine du droit patronymique.
La preuve semble être faite que la cybernétique conduit
rapidement les étudiants en difficulté, d'abord à jouer, puis à naviguer (web),
puis à communiquer (email) et finalement charger des pages (sites-web) qui
constituent une lettre stable mais écrite comme partie de la LG, indépendante
de l'institution . Cette massive génération de LG, peut-on supposer, pourrait
à terme avoir un effet important sur l'évolution des quatre discours et sur
les institutions qui persistent à les maintenir.
Hal von Hofe - Branford, CT, USA, 11/2003
Traduction William Théaux 2003/12/17