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Chronologie générale

 

Discours du Neuf

 

 

   Bonjour ; pourquoi avez-vous accepté que je vous questionne dans le cadre de votre cabinet médical à propos d'une affaire immobilière ? Ces deux choses-là ne sont-elles pas sans rapport ?

   La santé est un rapport. Ce qu'on appelait dans le temps un lien, vinculum, aujourd'hui une pulsion. C'est un rapport d'un terme individuel à son environnement. Le lien d'un cabinet à son environnement est de l'ordre de ce rapport de santé. Vous ne douteriez pas qu'un cabinet médical soit un rapport de santé. Lorsqu'il est psychiatrique de surcroît, ou psychanalytique, il y est tout spécialement concerné en terme de pulsion.

   Je ne suis pas sûr de bien vous comprendre..

   C'est tout à fait une bonne raison pour poser des question.

   Vous avez souhaité étendre votre cabinet, et vous avez acheté une propriété. Depuis trois ans les travaux n'ont pas commencé ; ils sont même arrêtés. Qu'est-ce qui y fait obstacle ?

   Ce n'est pas à proprement parler un obstacle ; c'est une attente. J'attends la réponse d'un juge et je suis en train de le contacter. C'est cela qui prend du temps. Nous avons trouvé des caves sous cette propriété et quelqu'un prétend qu'elles lui appartiennent.

   Il existe des procédures rapides..

   Mais elles sont difficile à atteindre

   Peut-être est-ce parce que votre question est tendancieuse ou mal posée.

   Ce n'est pas le cas non plus. Il y a un premier principe qui est extrêmement clair au Code Civil : l'achat d'un terrain acquiert la propriété de son sous-sol. Il existe une exception, lorsqu'un usage du sous-sol a lieu durant une trentaine d'année ; cette exception s'appelle une prescription trentenaire. Cette exception nécessite une qualité fondamentale ; pour éviter la situation d'un achat dont on est privé de jouir, il faut que cette prescription soit déclarée puis rendue publique durant la trentaine d'année qui l'établit. Il est essentiel qu'elle soit publique ; autrement elle entraînerait obligatoirement des troubles. Dans le cas présent, la revendication de ladite prescription souffre de manquer à cette obligation. La situation est donc très claire.

   Vous voulez dire que vous avez acheté une propriété et qu'ensuite vous y avez trouvé quelqu'un de caché ; et cette personne réclame que ce coin lui appartient, sans titre de propriété, mais du seul fait qu'elle s'y trouve.

   Oui. En toute logique, c'est cela.

   Vous pouvez la virer..

   Je risque de la blesser et je n'en ai pas le droit.

   Classique ! c'est comme la logique des squats ; mais qu'est-ce que cela a à voir avec la santé ?

   De plusieurs manières, issues du fait que la santé tient au respect de la loi. La loi est un rapport entre les choses - c'est aussi les désignations des rapports entre les choses. Elle est très semblable à la santé, elle est garante de la santé sociale.
   Évidemment même si cela est vrai, c'est une règle générale, et il y a des exceptions qui s'appliquent à la négliger. On peut très bien construire une clinique sur des mauvais fonds - je parle de financement. L'intérêt que ça présente, c'est de vérifier que la règle première est juste ; mais on y perd la santé.

   Vous jouez avec les mots ; iriez-vous jusqu'à prétendre que si ce n'était pour un cabinet médical vous ne seriez pas si pointilleux.

   Ce ne sont pas des jeux de mots - ce sont des jeux de logique et vous auriez tout à fait tort de croire que la santé tienne à autre chose qu'à la logique. Même si ce n'était pour un cabinet médical, si ce n'était que pour moi, mon loisir ou mon hébergement, je serai aussi scrupuleux ; car ce que vous appelez mon pointillisme garde ma santé. Je vais essayer de vous expliquer d'une façon différente : il y a quelque chose qu'il semble qu'on ait remarqué, dans l'histoire de la civilisation - c'est que l'être humain rejette la loi, il s'y oppose, ne l'admet pas. On comprend cela sans effort et les études de psychologie, ou sur les religions le confirment à leur manière plus ardue. Il y a un seul domaine où cette fatalité banale devient une tragédie ; c'est lorsque l'on considère l'être humain en charge de représenter la loi...

   Là je vous arrête ! La Justice ne va pas considérer le facteur humain. Elle va s'en ternir à la lettre.

   Vous m'arrêtez bien ; parce que ce que vous dites est faux. Elle ne s'en tient pas à la lettre puisque la lettre est claire. Comme nous venons de lire et de le dire, à suivre la lettre, la situation est claire et serait réglée en cinq minutes. Vous cherchez donc à isoler de mon côté le facteur humain pour y circonscrire le problème. Je vous l'ai dit, il s'agit du facteur de la santé. Il est de la nature de relations, de liens, de rapports. Lorsque je me suis rapporté à la loi,  sa lettre m'a attribué l'usage de ces caves. Je me suis donc porté à la personne qui le contestait. Il eut été contraire à la santé que je fisse autrement. Lorsque je me suis alors porté à cette personne, elle a mandé un conciliateur. Ce conciliateur attaché au Tribunal d'Instance de la ville m'a donné raison ; et la personne l'a décommandé. Ce n'est pas faire plait. Sans parler de morale sociale, pour ce que le moral dépend du plaisir il eut été menaçant pour la santé que j'avalise ce manque de constance, ces sinuosités.

   Vous me dites que de surcroît, aux termes sans équivoque de la loi, un Conciliateur officiel vous donne encore raison et que malgré cela vous restez encore sans pouvoir agir ?

   C'est à peu près cela ; ou plutôt on m'indique la voie de l'action dans une recherche généalogique. C'est un terme nouveau qui est apparu durant la démarche et à ce point. Il ressemble beaucoup à la psychanalyse. Vous remarquerez que l'on applique la psychanalyse lorsque l'exercice de la loi est défaillant et que la subjectivité est devenue un symptôme. A ce propos, il faut que je vous dise que mon voisinage prétendant aux cave, un jour s'est rendu à mon premier cabinet et qu'il ressortait au cours de la conversation une remarquable défiance vis à vis de la loi. Après un moment de surprise je me l'expliquais ainsi : tout commence avec une nature chaotique - une loi y préside mais sans justice - or la justice qui y mettrait de l'ordre n'est pas éclairée jusqu'à preuve du contraire - et c'est précisément ce contraire c'est à dire la défiance, voire l'opposition à la loi qui hisserait enfin la subjectivité à la fonction de l'identité humaine. C'est un peu abstrait, mais la psychanalyse montre bien cet échafaudage.

   Qui croyez-vous puisse entendre ça ! Pour rester simple, vous dites avoir le droit pour vous mais qu'il ne se laisse pas appeler. Auriez-vous l'outrecuidance de prétendre que vos adversaire aurait eux, tort de surcroît et que ce n'est même pas à l'appui de leur droit qu'ils se tiennent ? Vous seriez doublement persécuté, victime et ignoré ! De quoi présenter un beau tableau de paranoïa.. je m'en excuse.

   Vous pouvez bien vous excuser puisque vous venez de dire cela-même que vous pensiez ne pas pouvoir être entendu : mes adversaire sont dans leur tort, en effet, et leur droit ne tient pas ; c'est exactement ce que j'appelais " la mise en ordre par la preuve de l'opposition à la loi ". Leur tort est établi du fait que lorsqu'ils ont fait acquisition de leur terrain, c'était il y a bien moins longtemps que trente ans. C'était à ce moment qu'il aurait du déclarer et établir une publicité de la prescription trentenaire. Ils ne l'ont pas fait par défiance de la loi. En effet, si ces nouveaux occupants avaient affiché qu'ils faisaient usage d'une propriété hors de leur domaine, ils courraient le risque que cette prescription ne soit pas reconnue. Ils ont donc préféré en faire usage hors-la-loi et, le jour où un voisin, piégé par un vice caché dans son achat se réclamerait de la loi, ils se porteraient eux, victimes, du fait non pas qu'ils en aient été hors mais du fait que, de loi, il n'y en avait pas eu. Leur but était ainsi de lancer une prescription rétroactive - ce qui est très précisément opposé à la loi puisque la qualité publique de la prescription trentenaire est précisément fondamentale à éviter la rétroactivité qui met en faute l'exception au premier article du Code Civil dont nous avons commencé par parler, qui rend un acquéreur propriétaire de ce qui est sous son terrain.
   Vous voyez donc que vous et moi avons dit les même choses. La complexité n'est que d'apparence ; elle tient soit à la mauvaise foi, soit à une non-application de la loi, soit à un handicap de l'intellect, facile à résoudre par la psychanalyse qui est faite pour cela.

   J'admets que la psychanalyse offre une réputation aussi douteuse que la recherche généalogique que vous prétendez que l'on vous conseille. Je crois qu'il y a des moyens plus directs pour démasquer les intentions perverses qui font que la loi ignore la subjectivité. Je crois que vos voisins vous ont franchement posé la question. Ils pensent que vous êtes procédurier, et que vous faites tout cela, finalement pour les embêter. Ne vous ont-ils pas demandé :  Mais au fond, Docteur, pourquoi voulez-vous ces caves ?

   C'est exact, on m'a demandé cela - et j'ai dû passer un moment à me remonter la mâchoire ! Voyez-vous, nous en sommes tous là, quand il y a quelque chose d'évident qui tient une personne, il est difficile de la recevoir pour soi. C'est un mécanisme de projection psychique qui préside et nous inhibe en cela. Car il faut répondre non pas parce que vous y tenez et j'en profite pour vous embêter !  mais pourquoi y tenez-vous ? La réponse est déjà là, qui revient toujours avec un certain délai ; c'est pour en faire usage. D'une part ces caves font obstacle au nivellement de mon rez-de-chaussée, et d'autre part elle se présentent là où j'avais demandé à mon entrepreneur de sonder pour voir s'il y avait possibilité de creuser une cave, évidemment pour en tirer un usage. Si nous revenons au motif de notre conversation, cet usage est réglé par des titres de propriété qui sont eux-même ordonnés par des lois civiles ; qui elles-même ont la santé pour but, et non pas le vol ou la persécution.

   Je récapitule : en première instance du Code Civil, vous être propriétaire des caves sous votre terrain. En deuxième instance aussi - la prescription trentenaire n'étant pas établie. Troisièmement soumis à l'examen d'un conciliateur institutionnellement associé à un Tribunal, ce droit vous a été certifié. Vous avez de surcroît une raison morale légitime de jouir de ces caves. Quatrièmement vous analysez, somme toute de manière recevable, la difficile question de la subjectivité dans la loi. On peut même ajouter que vos adversaires sont sans titre ni droit, mais vous opposent un mécanisme que, sans être tendancieux, le langage qualifierait de sournois. Et on vous recommande de vous engager dans une recherche généalogique qui fixe, en gros la dernière étape avant l'académie et une thèse scientifique archéologique..!

   Presque tout ce que vous dites est exact, en admettant même l'exagération finale. Mais je dois revenir sur la qualification préjudiciable que vous avez portée, faute d'un meilleur langage. Je ne vous ai pas dit que durant tout ce temps j'avais moi-même proposé des solutions que certains ont jugé, pour le moins très honorables et au plus fort très généreuses. Je vous ai dit que, prévalent à la jouissance même de mon bien, la logique imposait que je place la santé. La qualification d'un caractère pathologique n'aboutit pas à cette dernière fin ; elle ouvre au contraire, à soin. Lorsqu'en voulant aplanir mon sol et sonder mon terrain , j'ai découvert l'affaire, j'ai proposé à mon voisinage qu'ils continuent à faire usage de ces caves en partie et le temps durant de la propriété de leur habitation.  Seulement lorsque la dame qui y met ses légumes ou quelques précieuses choses, vendrait ou disparaîtrait, j'estimais alors pouvoir ouvrir une porte de mon côté et entrer dans les lieux. Cette dame m'a dit qu'elle voulait les transmettre à ses enfants. Comme sur la question de l'usage dont on vient de parler, j'ai également une descendance. Je me suis enquis auprès de notaires qui ont confirmé la faisabilité de l'arrangement. Cette solution généreuse et/ou honorable a été refusée. Je pense qu'avec ce point, nous obtenons quelque chose qui rend plus dynamique le travers pathologique ou le vilain défaut que vous avez cru percevoir. Il s'agit de civilisation. Il s'agit du sens du partage. C'est quelque chose de très fondamentale dans la relation à l'environnement dont dépend la santé. La justice appelle cela l'équité.

   Nous nous en tiendrons là pour l'instant. Votre attachement au texte et à son application en rigueur, sans tenir compte des facteurs humains subjectifs me rappellent l'adage :  " Nul n'est sensé ignorer la loi "