L'Express du 20/10/2005
source
http://www.lexpress.fr/info/societe/dossier/sexualite/dossier.asp
Homme-femme
Les mystères de la différence
par Gilbert Charles
L'anatomie est trompeuse: à mesure qu'ils
avancent dans leurs découvertes, les scientifiques ont de plus en
plus de mal à définir la spécificité des deux sexes. Des généticiens
en viennent même à prédire l'extinction du chromosome Y. Et, en
matière de procréation, nous ne sommes pas au bout de nos
surprises…
C'est le mystère qui nous intrigue depuis la plus tendre enfance et
turlupine les savants depuis la nuit des temps: celui de la
troublante différence entre nos jambes, qui sépare l'humanité en
deux parties (presque) égales. Pourquoi les uns ont-ils un sexe et
les autres, un autre? En quoi les hommes et les femmes se
distinguent-ils réellement? La condition masculine ou féminine
est-elle gravée dans l'anatomie, dans les gènes, dans le cerveau,
ou bien créée par l'environnement et les conventions sociales?
Des généticiens, des anthropologues, les experts en imagerie médicale
ont apporté, ces dernières années, de nouveaux éléments de réponse
à ces questions. Leurs découvertes donnent une image de plus en
plus complexe de la sexualité, où les frontières naguère bien délimitées
apparaissent de plus en plus floues.
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Chromosomes féminins (XX, en haut) et
masculins (XY).
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Les critères qui permettaient jadis de classer sans ambiguïté une
personne dans l'un ou l'autre genre sont de plus en plus vagues ou
contestés, à tel point qu'on ne sait plus bien ce qui distingue le
masculin du féminin. Les organes génitaux? Certains naissent
hermaphrodites, avec des attributs sexuels indifférenciés, à la
fois féminins et masculins, ou l'ébauche d'un des deux: ces cas
d'intersexualité touchent en moyenne 1 personne sur 5 000 en
Europe. Les hormones? Elles ne sont pas non plus spécifiques à un
sexe: les femmes fabriquent aussi de la testostérone et les hommes
des œstrogènes. Le patrimoine génétique? Certains hommes sont
pourvus de deux chromosomes X, tout comme il existe des femmes ayant
hérité d'un Y: plus de 200 000 individus en France ont ainsi un
profil sexuel génétique «différent» de leur morphologie. La
forme des os? Les paléontologues reconnaissent aujourd'hui qu'il
est très difficile de différencier le sexe des squelettes. Les
performances physiques? Même sur les stades, l'écart entre les
femmes et les hommes tend à se réduire. Une étude de l'université
de Californie sur l'évolution des records olympiques depuis les années
1920 a montré que les athlètes féminines progressaient deux fois
plus vite que leurs homologues masculins et prévu que, à ce
rythme, les différences disparaîtraient complètement vers 2050.
Mais on en est encore loin, car les mâles disposent d'une arme
imparable: leur niveau, en moyenne dix fois plus élevé, de testostérone,
hormone stimulant la formation des muscles, qui leur assure un
dopage naturel et un avantage au chronomètre risquant de perdurer.
Et si la différence se logeait surtout dans le cerveau? L'organe
d'où l'homme tire sa position dominante dans la nature est en général
d'une taille plus petite chez la femme. Ce qui a longtemps servi
d'argument aux phallocrates pour justifier la supériorité
masculine en matière d'intellect. Au début du XXe siècle, le
philosophe français Gustave Le Bon attribuait «la versatilité des
femmes, leur inconsistance, leur absence de logique et leur
incapacité à raisonner» au petit volume de leur boîte crânienne.
Près de cent ans plus tard, malgré les progrès de la science et
l'évolution des mentalités, on en est encore plus ou moins au même
point. En janvier dernier, le président de l'université Harvard,
Lawrence H. Summers, a déclenché une énorme polémique aux
Etats-Unis en expliquant au cours d'un discours que, s'il y avait
peu de femmes dans les filières scientifiques, c'était peut-être
parce qu'elles étaient, par nature, moins douées en maths.
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Ce
qui les distingue
Espérance de vie à la
naissance: à l'échelle de la planète,
les femmes vivent en moyenne 65 ans et les hommes
62 ans. En France, l'écart relatif de mortalité
en faveur des filles est de 10%.
Ostéoporose: les femmes
perdent davantage de masse osseuse après la ménopause
que les hommes après l'andropause.
Sensibilité à l'éthylisme:
après avoir consommé une même quantité
d'alcool, à poids égal, les femmes présentent
un taux d'alcoolémie proportionnellement supérieur
à celui des hommes.
Système immunitaire:
celui de la femme est meilleur que celui de
l'homme. Mais elle est plus sensible aux
affections auto-immunes, comme l'arthrite rhumatoïde,
le lupus, la sclérodermie ou la sclérose en
plaques.
Sensibilité à la dépression:
les femmes déprimées sont deux à trois fois
plus nombreuses que les hommes, notamment parce
que leur cerveau produit moins de sérotonine.
Poids du cerveau: celui
des femmes est en moyenne 5 à 10% plus léger,
mais plus dense: elles ont 15% de matière grise
supplémentaire.
Revenu moyen: en France,
il est de 1 151 euros pour les hommes contre 841
euros pour les femmes…
Taille et poids: les
Françaises pèsent en moyenne 64 kilos. Les Français,
77 kilos. Elles mesurent en moyenne 1,62 mètre;
eux, 1,75 mètre.
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En la matière, les données scientifiques indiscutables sont peu
nombreuses, contradictoires et souvent biaisées, car elles portent
sur des comportements pouvant être induits aussi bien par la
biologie que par la société. Oui, le cerveau des filles est
statistiquement moins volumineux, mais c'était aussi le cas de
celui d'Einstein ou de celui d'Anatole France, lequel pesait 1 kilo
alors que le poids moyen du cerveau chez les hommes est de 2,4
kilos. Les femmes ont une proportion de matière grise plus élevée
et disposent d'un corps calleux - faisceau de nerfs qui relie entre
eux les lobes droit et gauche - plus épais que celui des garçons.
Ce qui permet à leurs hémisphères de mieux communiquer. Les aires
du langage sont réparties chez la femme des deux côtés du
cerveau, alors qu'elles sont concentrées chez les hommes dans l'hémisphère
gauche. Ces derniers, plus latéralisés, réalisent de meilleures
performances aux tests de visualisation d'objets dans l'espace,
alors que les femmes ont de meilleures capacités de langage et font
preuve de plus d'empathie, car elles perçoivent mieux les émotions
et les états mentaux des autres. Voilà pourquoi les hommes
viennent de Mars et les femmes de Vénus, selon la célèbre formule
de John Gray, l'auteur américain qui a popularisé ces découvertes
à travers des livres de recettes pour «mieux communiquer et vivre
en harmonie avec l'autre sexe».
Au-delà de ces particularités, somme toute limitées, aucune autre
différence cognitive n'a pu clairement être mise en évidence
entre les sexes. Les tests de QI ne démontrent pas d'écart
d'intelligence lié au genre, même si les hommes ont tendance à être
plus nombreux aux deux extrémités de la courbe, parmi les esprits
les plus brillants, mais aussi parmi les débiles et les attardés.
Ce qui, au bout du compte, rétablit l'équilibre… «Les différences
entre les individus, quel que soit leur sexe, sont plus importantes
que celles entre l'homme et la femme», affirme le Britannique Simon
Baron-Cohen, directeur du centre de recherche sur l'autisme de
l'université de Cambridge.
Si le cerveau n'a pas vraiment de sexe, il n'en contrôle pas moins
les préférences et les comportements sexuels, lesquels paraissent
beaucoup plus influencés par la biologie qu'on ne le pensait. En
1991, un chercheur californien, Simon Le Vay, a fait sensation en
affirmant avoir découvert une particularité anatomique dans le
cerveau des homosexuels: une région de l'hypothalamus dont le
volume serait deux fois moins important chez les hommes gays et chez
les femmes que chez les hommes hétéros. Deux ans plus tard, le Dr
Dean Hamer, du National Cancer Institute, s'est vanté d'avoir
identifié, sur le chromosome X, une région baptisée XQ28, censée
abriter le ou les gènes de l'homosexualité. Les observations de Le
Vay, qui portaient sur l'autopsie d'une quarantaine de cadavres
d'hommes morts du sida, n'ont jamais été confirmées. Quant à la
découverte du XQ28, elle n'a pas pu être prouvée, faute de
pouvoir expérimenter les effets du gène homo dans des embryons
humains. On a en revanche trouvé une sorte d'équivalent de ce gène
chez la mouche. Des généticiens viennois de l'Académie des
sciences autrichienne ont identifié chez la drosophile un fragment
d'ADN qui détermine les comportements sexuels de l'animal, sa façon
de faire la cour et de s'accoupler. En juin 2005, ils ont réussi à
inverser les préférences de mouches femelles en injectant dans
leurs œufs une copie de la version mâle du gène: des insectes
pourtant pourvus d'organes féminins se transforment alors en
lesbiennes et tentent de copuler avec leurs consœurs. Barry Dickson,
l'un des auteurs de la découverte, s'avoue lui-même étonné par
ce résultat: «Je ne pensais pas qu'un seul brin d'ADN puisse contrôler
des comportements si complexes.»
Les différences entre les individus sont plus importantes
que celles entre l'homme et la femme
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La différence des sexes reposerait-elle finalement sur la génétique?
Cette discipline est de toute évidence celle qui a le plus fait évoluer
les connaissances et les théories sur le genre. A commencer par l'évaluation
de la distance entre les hommes et les femmes au niveau de l'ADN.
Alors que le génome humain est désormais totalement décrypté,
des chercheurs de Duke University ont entrepris de décompter les gènes
spécifiques à chacun des deux sexes. Ils sont arrivés à la
conclusion, publiée en mars 2005, que les filles et les garçons
divergent d'environ 300 gènes, soit près de 1% de leur patrimoine
héréditaire. L'écart peut paraître minuscule, mais il est
presque aussi grand que celui qui sépare le genre humain des grands
singes, soit 1,5%. Il y aurait donc autant de distance, génétiquement
parlant, entre la femme et l'homme qu'entre les primates et Homo
sapiens.
DOC
EN SOTCK
"De quoi j'me mêle!"
sur ARTE
Retrouvez le thème de ce dossier mardi 25 octobre
sur Arte, à 20 h 40, dans la soirée Thema:
Qu'est-ce qu'un homme? Qu'est-ce qu'une femme?
produite et présentée par Daniel Leconte.
20 h 40 Sexe?
Documentaire de Fabrice Gardel et Sophie Nahum.
21 h 30 L'homme qui rêvait d'être
enceint, documentaire de Sophie Lepault et
Capucine Lafait.
22 h 15 Débat avec le Dr Bernard Cordier
et Marcela Iacub, animé par Daniel Leconte.
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La génétique nous a aussi appris récemment que, contrairement à
ce que raconte la Genèse, la femme est apparue la première, 84 000
ans avant que l'homme émerge en quelque sorte de ses chromosomes..
Grâce à la méthode de l' «horloge moléculaire», qui permet de
remonter le temps en analysant les variations de l'ADN, une équipe
de généticiens de l'université Stanford a montré que l'humanité
possédait au départ un seul chromosome sexuel, fonctionnant par
paires identiques et portant à la fois les gènes masculins et féminins.
Mais, il y a 250 000 ans, à la suite d'une mutation, l'un des
jumeaux a commencé à se différencier et donné naissance au
chromosome Y. Celui-ci s'est spécialisé dans le genre masculin en
abandonnant la plupart de ses gènes féminins. Incapable de se
recombiner en échangeant des gènes avec son jumeau, car il est
toujours tout seul dans la cellule, il s'est peu à peu appauvri,
comme une peau de chagrin. L'Y est aujourd'hui le plus petit du génome,
le moins fourni en gènes - moins d'une centaine, alors que l'X en
compte 2 000. Le généticien britannique Bryan Sykes, de
l'université d'Oxford, estime que ce chromosome mâle est tout
simplement appelé à disparaître et prédit dans son livre paru en
2004 - La Malédiction d'Adam (Albin
Michel) - que tous les hommes seront stériles dans 125 000 ans.
Il a fallu attendre 1923 pour que les biologistes découvrent que le
sexe s'hérite par le jeu de deux chromosomes: un double X pour les
filles, un X et un Y pour les garçons. Depuis cette date, les
scientifiques n'ont cessé de faire la chasse au gène «décisif»
du sexe, celui qui détermine la formation des organes sexuels dans
l'embryon à partir de la cinquième semaine de gestation.
Même la modeste contribution masculine à la fécondation
pourrait bientôt devenir accessoire
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Après de nombreux échecs, une équipe de chercheurs londoniens a
fini, au début des années 1990, par identifier un candidat sérieux
dans les replis du chromosome Y: un gène baptisé sex
determining region (SRY), qui constitue la clef de la
masculinité. Celui-ci agit comme un interrupteur en déclenchant
une cascade d'événements hormonaux qui aboutissent à la formation
des organes sexuels mâles. La même équipe a réussi quelques mois
plus tard à changer le sexe d'un embryon de souris femelle après
lui avoir injecté une copie du SRY, preuve incontestable de ce mécanisme.
Cette découverte n'est pas neutre: elle semble définir la féminité
comme un état par défaut, la pente naturelle sur laquelle glisse
l'embryon, sauf si le SRY décide du contraire en aiguillant le
train dans l'autre direction. Il existe pourtant des mécanismes de
détermination féminins: des généticiens italiens de l'université
de Pavie ont montré, en 1994, qu'il existe sur le chromosome X un gène
qui agit comme un répresseur de masculinité. Mais cette découverte
semble être passée inaperçue. On se demande bien pourquoi.
Si le chromosome Y semble voué à l'extinction, l'X semble en
revanche appelé à un bel avenir. Ce chromosome commun aux deux
sexes porte aussi de nombreux gènes impliqués dans le
fonctionnement du cerveau. On pensait jusque-là que chez les
femmes, où il existe en double exemplaire, seul un des jumeaux était
fonctionnel, l'autre restant silencieux. Mais on s'est récemment
aperçu que ce n'est pas tout à fait le cas: 25% des gènes de l'X
dormant sont en réalité actifs, ce qui permet à la cellule de réparer
un gène défaillant en le remplaçant par sa copie sur le second
chromosome. Cette plasticité génétique donnerait ainsi au sexe
dit «faible» une meilleure protection contre les mutations et des
capacités d'adaptation plus larges. Elle lui permet aussi d'échapper
à de nombreuses affections héréditaires liées à des gènes du
X, qui touchent en priorité les garçons, de la calvitie à la
myopathie de Duchenne en passant par l'hémophilie ou l'autisme.
Une chose est sûre: l'évolution semble
favoriser le genre féminin à long terme, y compris en matière de
procréation, l'un des derniers domaines où la spécificité de
chaque sexe reste encore clairement définie. C'est le philosophe et
biologiste Henri Atlan qui l'affirme dans son ouvrage L'Utérus artificiel
(Seuil): d'ici à une cinquantaine d'années,
les bébés débarqueront sur terre par ectogenèse, une technique
qui permet le développement de l'embryon hors de l'organisme
maternel. Cette sorte de sous-traitance procréative a déjà
commencé avec les fécondations in vitro, et progresse à grands
pas de l'autre côté de l'Atlantique. Dans son laboratoire de
l'université Cornell (Etat de New York), la biologiste Helen
Hung-Ching Liu serait en effet parvenue à implanter des embryons
humains dans un ersatz d'utérus dopé en hormones et en éléments
nutritifs. Même la modeste contribution masculine à la fécondation
de l'embryon pourrait bientôt devenir accessoire. En mai 2002, des
biologistes japonais de l'Université agricole de Tokyo sont
parvenus à créer en laboratoire une souris issue d'un ovule fécondé
par un autre ovule, sans aucun apport de sperme. La femme
serait-elle l'avenir de la femme?