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ANTICHAMBRE GALERIE SAINT DESSEIN
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          table

part I Antichambre
Chap.1
Bar D'Eupluzune

étude

Les choses qu'on comprend, on ne les sait pas.
Les choses qu'on ne comprend pas laissent une chance de savoir
que ce que l'on comprend n'est pas ce que l'on sait.

Confu Su - du Chinois moderne de Sens Sûr

 05 

   Entré au bar Fort Boss ; il s'est frayé la voie par le travers d'une foule d'étudiants et professeurs, dans la brasserie aux salles multiples et immenses, au décors orange et rouge, de Bosstown. Centre ville. Tous les soirs un mélange d'intelligence et de faiblesse s'y groupe. Des gens d'université donc, mais la belle démarche de la science sera une farce en ce lieu ; c'était le monde ; J.Stuart 10  cherche son nouvel ami. Normalement après une volée d'escalier, là où des tables permettent de discuter à deux ou trois. Mais personne. Ah! si. De l'autre côté il verra Neiwer 20 , l'inénarrable mathématicien qu'il commence à connaître, toujours à côté de la plaque par distraction, à droite quand il a rendez-vous à gauche. Stuart en profite pour l'observer un moment. À travers l'éclairage coloré et par l'humide fumée, il regarde l’homme stroboscopé par la pagaille des clients et serveurs. Impossible de savoir s'il attend les martiens ou si ses lunettes épaisses de myope se fendillent sous l'effet d'une de ses idée géniales. Il est seul à une table, assis devant un verre vert et griffonne un calepin jauni par la lumière qui tombe d'un plastic en forme de tournesol de nuit . Il ne jette pas d'ombre d'un doute qui semble inoffensif à un lion tel Stuart - lui, Stuart, déjà habitué du tard de ses vingt ans, à influencer les hommes et bientôt les diriger - le jeune ambitieux n'en doute pas. Il s'attarde ; son observation ne lui permet pas encore d'imaginer quel âge Neiwer peut avoir. Est-il professeur ou est-ce un étudiant du Mitoy 30  où Stuart est en prépa ? C'est Nath qui les a mis en contact. Tout de suite il fut bon. Stuart n'attend plus, il franchit le dernier rideau de la foule et gagne la table où Neiwer boit sa menthe.

 -- Bonsoir, vous êtes en avance.
    Le visage de l'homme sort du jaune et s'illumine : « Ah! Bonjour, je ne vous attendais pas ! C'était Nathalie qui devait.. 
 -- Non, Nath est en Sardaigne » répond Stuart « Partie hier. Mais avant de partir elle nous a aménagé un moment pour que nous soyons seuls.
 -- Magnifique ! Alors selon ses vœux » se réjouit le mathématicien « nous allons pouvoir discuter dans ce merveilleux établissement. Asseyez-vous, ils nous serviront bientôt.

   Neiwer balaye la table d'un encombrement imaginaire. En fait il poussera son seul verre vert et reloge le crayon dans son carnet. Le reste de la table était vide. Stuart s'étonnera de voir cet homme si brouillon et distrait d'un côté pour un autre côté, si sûr et autoritaire. Ce curieux mélange se mêle à l'énigme du statut du personnage. Tout compte fait, c'est un professeur en passe d'être un professeur.
 -- Vous travaillez sur une thèse depuis plusieurs années..» déclarera-t-il en prenant place. C'était la manière que Stuart prise à poser une question générale. « Nath est passionnée par vos travaux. Je crois qu'elle est presque tentée de quitter la botanique pour se mettre aux mathématiques. C'est certainement votre influence.
 -- Certainement pas ! » s'esclaffe l'homme aux lunettes « Une femme aussi jolie n'est pas influençable. Je crois en effet qu'elle n'est pas insensible à ce que les mathématiques peuvent effleurer de la politique, mais je soupçonne que ce soit son père, ou son fils, qui lui donna ce goût.
 -- Nathalie a un enfant !? s'étonne Stuart qui sait que son amie a le même âge que lui.
 -- Je ne sais pas en fin de compte. Statistiquement c'est peu probable. Mais je n'ai pas dit que son père n'était pas son fils.

   Stuart comprend que son enquête prend fin pour le moment. Les caractéristiques de Neiwer seraient à reprendre un autre jour. Il a l'impression de se trouver dans les cordes dès le premier contact. Aussitôt eut-il cherché son âge et sa fonction, qu'il se retrouvait avec l'âge de Nathalie et la confusion des générations. De surcroît Neiwer, qui n'embrouillait pas ses temps, commençait sans détour à parler de ce qui le passionnait :
 -- Le père de Nathalie est un communiste, c'est une évidence. Vous avez vu ses lunettes. Les lunettes de Nathalie ; c'est la seule chose qui soit triste chez elle. Mais le communisme aurait bien fait de s'avertir qu'on peut mesurer les influences, de l'information sur les comportements, par les mathématiques bien mieux que par la propagande. Ce doit être un communiste dissident. Elle veut sauver son père, notre Nathalie.
 -- Admettons qu'on ne comprenne rien aux femmes. Est-ce que c'est cela qu'elle redoute ? Est-ce que vos mathématiques recèlent le pouvoir d'expliquer les femmes mieux que le communisme ?! » et hélant un serveur : « un whisky, s'il vous plait.
 -- Pour moi aussi » hèle aussi Neiwer et, s'adressant à Stuart : « permettez-moi de vous l'offrir, et je ne bois pas que du sirop.
   Le serveur s'approche et débarrasse la menthe pour passer aux choses sérieuses. Ce qui insurge Neiwer. Il arrête sa main ; la saisit dans une poigne d'acier « Garçon, quand votre mère vous retirait le sein, n'aviez-vous pas plein de tétons en tête ? Ne dites pas non !
» il a l'air furieux « Mais vous n'aviez toujours aucune idée de ce que votre père avait, lui qui en était si fier. Eh ! bien j'ai été comme vous, et ne me le faites pas revivre » il a l'air innocent « Laissez-moi ma menthe pour que je n'ai pas à me la barrer dans la mémoire et laissez-moi m'attendre à découvrir l'eau de feu que je n'ai pas encore vue sur la table.
 -- Lâchez-moi » ordonne l'employé saisi
 -- Je vous ai donné un cours de cybernétique gratuit » atténue le consommateur
« voyez-vous : vous savez ce que vous pouvez nier en le barrant » et il fait un signe de doigts croisés signifiant  menthe  ou dans l'exemple  sein  « ..et regardez-vous : ce que nous n'avez même pas en tête vous pouvez le nier encore ; dans ce cas vous le couvrez de la barre, avant qu'on ne le remarque » et il fait un autre signe de doigts l'un couvrant l'autre signifiant  whisky  voire ou  phallus  « Dans le premier cas vous vous en souvenez, dans le second vous ne le savez pas encore »
 -- Malgré tout je préfère un pourboire
» proteste le barman gavé de tous ces étudiants et professeurs qui le prennent pour cobaye à longueur de service.
 -- C'est un comble ! un pourboire pour un serveur de boisson ! C'est à croire que vous connaissez là une troisième forme de négation
» réplique gentiment le professeur « mais vous l'aurez s'il ne s'agit que de liquide dé-tasse qu'est.

   Le serveur vexé laisse la menthe qui lui est interdite à  prendre  et va chercher ce qui  n'est pas  mais qui est commandé. Revenant à la conversation, Neiwer à Stuart : « Il faut que je sache à quel niveau de l'intellect nous communiquons si nous devons parler sérieusement. Tel les moyens de la négation pour écrire ce qu'on ne sait pas. Notre amie nous en a certainement dit beaucoup au sujet l'un de l'autre, mais elle n'a pas précisé l'objet de notre rendez-vous. Est-ce la sexualité, la politique ou la science pure que nous devons sillonner ce soir ?
 -- Eh bien, j'ai compris que vous vouliez enseigner à cet esclave les manières d'être en n'étant pas, mais j'observa que cet homme existe beaucoup plus dans le pas-être que dans le paraître. J'ai suivi le cours sur le niais et le nié qu'on écrit en Hyperintelligence, respectivement  intelligent  et  intelligent   »  répond  Stuart, à côté mais mimant un snob intello en articulant les temps. Mais c'est en semblant qu'il mi-ment car bien que jeune étudiant, Stuart n'en est pas à sa première excursion dans la production. Il a commencé à écrire. Il y a trois ans, une nouvelle qu'il avait adressée à une maison d'édition, avec la certitude qu'elle serait acceptée, avait en effet été éditée. Et il avait déjà depuis produit six textes, également édités ! Son assurance lui avait servi ; il avait autant d'aplomb qu'il était chic. Cependant de tels succès précoces n'auraient pas pu se produire sans une qualité véritable ; « Mon but est de conduire les hommes » poursuit-il « je vous répète ce que Nathalie dut vous dire : il y a trois ans, j'ai adressé une nouvelle à une maison d'édition, avec la certitude qu'elle serait acceptée. Elle a en effet été éditée et j'ai produit six textes, également édités. J'ai du talent et, comme je l'ai su par le passé.. à présent je le sais.
 -- Alors vous avez besoin de techniciens » répond le savant mesurant l'audace et le métacirconvenu de l'interlocuteur.
 -- Je serai technicien au contraire et j'agirai seul, c'est pour cela que je traîne dans les universités en préparation de ma carrière littéraire.
 -- Donc en effet il vous faut suivre des conseils de science pure » réplique Neiwer la mesure prise. Chacun cherche la dominance.
 -- Inverseriez-vous pas la place de la littérature dans l'ordre des conseils ; ne pensez-vous pas qu'elle soit supérieure à la science ?
 -- Certainement je le pense » reconnaît le mathématicien maintenant prêt à jouer cartes sur la table où il n'y a qu'un carnet : « C'est pourquoi il me semble nécessaire que les mathématiques s'affrontent à l'information. Le "Savoir", somme toute, que la littérature brasse et manipule avec une expérience millénaire, est une somme d'informations. Par temps qu'il peut être ainsi composé, il y a de bonnes probabilités que les mathématiques reprennent le dessus.
 -- C'est bien ce que m'a dit Nathalie : vous pensez que la mathématique va fournir au savoir une puissance comparable à celle que les machines ont donnée à l'humanité sortie de la paysannerie et de la chasse à courre. Eh! bien, je ne sais pas si je suis votre homme, mais pour le moment certainement : je suis votre oreille.

   Le serveur a amené deux whiskies en se tenant à bonne distance de la table. Stuart boit une gorgée, se cale pour se mettre à l'écoute. Le jeune ambitieux claque la langue et fait tinter les glaçons comme le grelot d'une sonnette ; elle sonne le début de l'explication de l'autre. A nouveau Neiwer fait le vide imaginaire sur la table devant lui, rangeant pour l'instant les alcools du côté de sa menthe et son carnet de l'autre avec son crayon dedans. Il fixe à travers ses lunettes rondes un regard pointu qui fouille les paupières mis closes du jeune homme qui s'est mis à l'affût.

 -- Vous pouvez renoncer à tout espoir » annonce terriblement le mathématicien. C'est un premier choc « Vous n'obtiendrez rien qui puisse vous servir dans la manipulation des êtres humains. En se plaçant au-dessus de la littérature, les mathématiques vont demeurer totalement inutiles. Elles sont d'une autre sphère. Vous devez même vous sentir menacé ; car ce qu'elles risquent d'éclairer, c'est l'inutilité de la littérature qu'elle va soumettre à sa sphère à partir du moment où elle va la dominer. Ce sera doublement inutile.
   Les yeux de Neiwer cherchent une réaction. Ses mains attendent un son ou un frémissement pour passer l'une sur l'autre. Mais rien. Stuart ne cille pas d'une paupière. Il attend que son interlocuteur lui livre quelque chose de plus consistant qu'une esbroufe supposée lui faire peur.
 -- Si une moindre consistance du Savoir peut être extirpée par un chiffrage, elle sera immédiatement confisquée » Là, le savant marque un point. Il force l'homme pratique à se débusquer. Il n'annonce plus seulement joliment que les mathématiques sont du pur pur, mais accuse dans le vif que si quelque chose n'en était jamais tiré ce serait en pâture au vol.

   Mais l'écrivain en a de son côté, une bien bonne à sa disposition. Il n'a pas produit de textes qu'accueillis ou refusés, il en a aussi produit de disparus - du moins un : Les Envahisseurs de l'Infini titrait-il aussitôt envolé - la conjonction d'un vol de ses bagages, perdus avec ses propres manuscrit, et d'un incendie dans le dépôt de l'éditeur, avait destiné " les envahisseurs " aux sphères les plus pures du vide plus vite que personne l'eut lu - par conséquent là où le mathématicien le provoquait, il annonçait sa réplique.
-- "La chose"..» dit Stuart avant de prendre une seconde gorgée de son verre, puis en reprenant « la chose est ce que je décrirai... par ma littérature » souligne-t-il avec emphase, révélant le projet de ses prochains romans « La chose de l'infini reviendra de la science, notamment de son sillon dans l'Espace. J'en ferai mon Opéra-Sillon ; et sa puissance sera telle qu'elle mettra en péril toutes les polices, les armées et les États de planète Terre. Plutôt qu'un vain sûr volé , c'est plutôt elle, la Chose d'un Autre Monde 
40 , qui risque de confisquer la terre à l'humanité.» Puis réagitant les glaçons de son verre comme une sonnette en commandant une nouvelle réponse au savant : « Sauf le respect de leur beauté , c'est à vos formules de démontrer si ce sont les forces du pouvoir et de la politique qui confisqueront le Savoir qu'elles auront prétendu posséder pour manipuler les masses. Si les mathématiques n'arrivent pas à le démontrer, elles sont un bluff et la tyrannie a bien raison de s'en taper.

 -- Bigre ! » répliquera le mathématicien. « Vous réclamez de la science qu'elle désarme les dirigeants des armes qu'elle leur procure !
 -- Vous la mettez même au défi » ajouta-t-il pour que l'écrivain sache bien ce qu'il voulait doubler « et vous défiez que les secrets de la nature qu'elle dévoile, ne soient aussitôt classés par les États, comme des Secrets d'État afin qu'ils réaffirment leur pouvoir d'imposer l'ignorance et donc de paralyser les masses en leur pouvoir.
 -- C'est bien ce que j'attends de vous » répondra Stuart en portant pour la troisième fois son verre à sa bouche. Mais cette fois la sonnette tinta avant qu'il but, parce qu'il tremblait.

   En cette époque, une âme damnée d'un célèbre psychialiste norvégien était au Gouvernement. Il régnait à la tête du Ministère de l'Opinion. L'université Mitoy en dépendait étroitement. De nombreux cours y sont dispensés, traitant de chaque organe de ce ministère. La difficulté d'en faire une synthèse s'effaçait devant l'unique publication du premier mois de l'année, ayant traité de la fabrique du consentement par les premiers indicateurs statistiques. Avant cela, le tissu du consentement avait été artisanal, au pire psychologique.
   Que fut ou pas damnée l'émanation du fameux psychologue importait peu, en vérité, aux universitaires qui cherchaient, par vocation, à contrôler leurs affects en vue de scruter en même temps les deux faces de la vérité. Fatalement c'était une neutralité qui laissait libre Dernays 50  - ce fils incestueux de la femme du norvégien - de dire que la liberté était une "opinion" mise en scène par une industrie politique, qui par ailleurs tenait secrètes l'administration de l'esclavage effectif de la population comme ses opérations d'éradication de la violence par tous les moyens. C'était un système mental complexe comme un cul, mais à la perspicacité exercée des étudiants une loi du secret ressortait, belle et bien pratiquement, faîte du tabou des trous. Les universités norvégiennes en avaient même fait une loi sociale comme il existe une loi de la gravité dans l'espace cosmique.
    Stuart appartient à une classe minoritaire, fort critique à cet égard. Elle n'admettait que, du fait de n'avoir pas de bout, un trou fut forcément tabou. Elle pense la chose bien plus subtile, intelligible dans ce recours à la loi. Pour Stuart et son cours facultatif de pataphysique franche-aise, le secret d'État est une opération double, où la population joue une part égale à celle du pouvoir. Elle en est complice, de sorte que le secret est connu de tous, mais inavoué. Or c 'est une situation fort différente de celle du secret secret. Au lieu d'une fatalité récente - comme le tore Ounap'poziticapicapelitic Capothull fagalicapagalic 60  - qui l'attacherait à tout ordre représentatif d'état moderne, ce serait un syndrome, d'une extraordinaire antiquité. Peut-être serait-elle apparue avec une homosexualité préhistorique. Les recherches sur ce point étaient en cours. En tout état de cause, on dénommait ce syndrome "Homopouvoir", qui fonctionnait comme une sorte de placebo inversé - ce qui est en bref la réputation du secret qui s'auto-entretient.


   Boris Neiwer portera ses lèvres au vers. Faisant claquer sa langue - sans succès, la menthe était trop sucrée.
 -- Vous pensez sans doute que j'estime que mon savoir mathématique, la mathématique du Savoir de ce que nous nommez chose et que j'appelle cybernétique, serait rendue inefficace par l'attraction du secret. J'aurais quelques clés de cette fameuse loi de gravité de la situation qui rend le gouvernement si lourd et grave. C'est effectivement ce que je vous ai permis de croire que je crois.
   Durant son explication le mathématicien avait dégainé le crayon de son carnet de cuir et le tournait autour du verre sirupeux. « Mais je suis parfaitement averti de l'opinion - dont je ne méprise par l'intérêt - qui estime que l'opinion est unique et unifiée. Dans cette salle de restaurant, je pense que 97% de la population pense que ce Savoir, comme n'importe quel savoir tenu au secret perd son applicabilité du seul fait de la forme qu'il prend : en réalité il reste répandu ; ce qui l'affecte est qu'il est circularisé. Je suppose que vous l'appelez aussi l'effet bossépla.
 -- Effectivement » approuvera John Stuart. « C'est du fait de ces déformations qui apparaissent sur l'uniformité de l'opinion, que l'appréhension d'une "chose" ne peut pas être gommée sur le plan général de la propagande.
 -- ... et du départ de quelque "chose", l'apparition d'une bosse 
65  sous la platitude d'une couverture d'opinion fait d'abord penser un potentiel sexuel. Vous voyez que je connais l'ébat qui nous vient de Norvège.
 -- C'est exactement ce que nous critiquons » affirma Stuart qui n'hésitait pas à avouer son opinion « une sexualité de fraude est l'alibi d'un vrai placebo. Vous n'allez pas nous égarer là-dedans !
 -- Non! Non,» rassurera Neiwer « Nous y reviendrons peut-être un jour. Mais ce n'est pas d'une inapplicabilité formelle dont je vais vous parler. Je suis proche de démontrer que c'est une inapplication foncière qui frappe toute ma cybernétique. Je ne tiens même pas compte de savoir si une chose couverte, continue à produire des effets qui tournent en ronds, et je ne discute pas qu'à la place d'une chose on puisse placer une sexualité à l'ibid Ooooo ; je peux vous montrer que la cybernétique, c'est tellement vrai, que ça plonge immédiatement dans les abysses des phénomènes sans mots. Tant que par conséquent vous auriez tort d'espérer vous en servir. À moins qu'au lieu de conduire des hommes, vous ne souhaitiez qu'héberger des idées.
 -- Je suis prêt à abandonner toute forme de formalité ! C'est clair ?
 -- Parfaitement.
   Et Neiwer abattit son crayon sur le bord du verre qui émit un unique mais plus solennel tintement que tous les glaçons agitatés n'espérèrent jamais dépasser.
 -- Je dois vous l'écrire, sans ça on ne l'entend pas » dit-il en ouvrant le carnet sur la table « Voici la formule générale de l'opinion :  S*
n  » Et il revint ensuite sur la première lettre : « ' S ' c'est le Savoir,» continuera le mathématicien « et ' n ', c'est le nombre des individus de la population. Lorsqu'un de ces individus est privé du savoir, on l'écrit . Est-ce que vous me suivez?
 -- En effet
j'entends "  ", si le trait sur le ' n ' figure l'annulation mathématique de l'existence selon l'opposition moderne à l'aristotellicisme qui avait promis en son temps une science de l'existence » répond Stuart en cachant un doigt sous l'autre doigt comme l'avait fait Neiwer en commandant sa boisson. Il répondait ainsi qu'il comprenait et suivait jusque là.
 -- Plus tard, nous verrons plus tard ce qu'il y avait si tôt qu'en remontant à la Grèce Portique » tempère Neiwer « Tenons-nous en pour l'instant-même à l'individu qui ne reçoit pas l'information.
 -- D'accord.
 -- Aussi grand que soit le Savoir, aussi petit d'ailleurs qu'il soit, la moindre présence de ' n ' le réduit considérablement. Et ceci n'a rien à voir avec l'effet bossépla ou son inverse. C'est plutôt quelque chose qui s'assimile à l'effet du 'zéro' sur une multiplication. Le zéro qui s'insère réduit Tout à zéro. Ici je l'appelle l'effet " duper " - l'effet duper c'est quand un ' n ' sans savoir, ou par excellence un individu détrompé, s'insère sincèrement dans la chaîne de l'information quand c'est une chaîne de mensonges. Les psychialistes 70  de la Renaissance avaient déjà montré ça avec une chaîne de nœuds magiques. Un seul ' moins-un ' et..  pffft ! tout le savoir est réduit à une foutaise. Pensez à Dieu et tout ce que vous savez devient ridicule. Bref, le S° - le savoir de l'opinion - ce qu'on appelle en média, tout simplement l' "opinion" - est rapidement, vertigineusement dégradé, aussitôt qu'on intègre 
n  . Donc si on peut écrire  S* n = S° , cette opinion est inhibée dans une proportion pratiquement absolue si « S* n ».
   Stuart avait l'air de réfléchir et réfléchissait vraiment.  
 -- C'est ma seconde loi
» poursuivit Neiwer. « Moi aussi je me sers de lois, mais elles sont purement mathématiques. Quel mensonge que de parler de lois de la nature ! la nature est hors-la-loi. Il n'y a de lois que mathématiques et, approximativement quelques unes en sémantique mais ça c'est votre domaine.
   Stuart se secoue la tête et tout le corps, comme pour se réveiller.
 -- Vous voulez dire que le placebo, son pas-plat qu'on écrit comme ça
» fit l'étudiant en se saisissant du crayon du maître et en traçant sur son carnet :  plat   « ne sont qu'un réduit dans une seule loi, que vous réduisez à nulle, en mettant à la place de la 'réputation' une 'susceptibilité' extrême qui transforme tout savoir pratique en un château de carte.
 -- C'est une peu ça
» répond Neiwer soudain raide et reprenant vivement son crayon des doigts de Stuart pour écrire aussi rapidement : «  S°° 
80  » . Et ému et claquant le carnet et rangeant le crayon dedans.. il range le carnet dans son veston et le fermant se range en se reculant et en croisant les bras pour dire comme ça suffit s'immobilisant dit : « Je crois que nous sommes allés très loin. Nous avons fait un bon bout de chemin et, si vous voulez, pour qu'on s'en souvienne, j'ai écrit cette seconde loi de l'opinion en redoublant son indice. On pourra partir de là la prochaine fois. Et si nous allions voir les copines de Nathalie maintenant.
   Stuart semblait hésiter et sortir d'un monde étrange. Il avait terminé son whisky mais ce n'était pas ce qui pouvait hypnotiser comme ça. En entendant Neiwer parler de filles, il sourit en gardant les yeux dans le vague. « C'est bon! » glapit Neiwer, qui siffle son verre entier (sauf le verre) d'un coup (pas le vert) et se lèvera brusquement et Stuart suivit.

   Il y avait au fond de la salle du bas une agitation et des éclats de rire aigus auxquels il serait impossible de résister.
   (dans la poche remis bien caché, le carnet de Neiwer vibrait furieusement)

 


notes :

 

  05  : La première édition des13chap de Lascène a été illustrée par la plus célèbre des affiches de guerre, crée par Alfred Leete, figurant Lord Kitchener pointant directement l'observateur (elle indique la propagande au motif de l'examen de LASCENE)  --  en cours d'écriture 20140620 un dessin humoristique a été monté en alternative (la doesn't matter est considérée comme une allusion à la négligence en laquelle le pouvoir, dark & anti, tient le point de vue populaire, ésotérique ou fictionnel ).

  10  : John Stuart = nom de plume de John W.Campbell
 
20  : Boris Neiwer = Norbert Wiener
 
30  : Mitoy = M.I.T - Massachusetts Institute of Technologie (où Campbell et Wiener se sont rencontrés et liés d'amitié)
 
40  : La Chose d'un autre monde (The Thing from Another World) est le titre du film d'après le roman de, John W.Campbell/Stuart, Who Goes There? écrit en 1934
 
50  : Dernays = Edward Bernays (double neveu de S.Freud - fils de sa sœur et du frère de sa femme)  
 
60  : Discours S.Dali Paris/1967 introduisant la femme couverte de métal (Amada.L & Paco.R)
 
70  : " psychialiste " est le terme emprunté à Donald Kingsbury : Psychohistoire en péril publié:2001
 
80  :
Neiwer a adopter le symbole du Semblant, S°, pour représenter le Savoir de l'Opinion - permettant d'écrire S°° le sujet de l'opinion qui n'a pas ce savoir, ou "double semblant" (voir aussi C5)


 

   Enregistrement vidéo du commentaire / DWT sur Lascène.Chap.1   

   suivi des notes/résumé dudit commentaire :  

   La vidéo-conférence commentaire du Chap.01 s'est déroulée le 20140123 à 20h. Les soubassements de trois éléments de ce chapitre y ont été explicités. La description d'un savoir collectif par Neiwer est basée sur un temps logique exposé par J.Lacan. Ce temps logique matriciellement composé de trois termes semblables (sophisme des trois prisonniers) est extensible à un nombre infini de semblables, formulant alors un temps, social, collectif, c'est à dire l'histoire ou son temps historique. Illustrativement le blason de la famille Borromée (Renaissance, Milan) matérialise l'algorithme à trois (nœud borroméen) et sa figure sociale se présente comme ceci :

fig.50 et 60      nœud à trois                et                chaîne à  n..                   

   A quelqu'endroit de cette série à n éléments, un seul de ces anneaux s'ouvre et tous sont libérés, s'éparpillant chacun indépendant. La vertu de cette logique - et de ce nouage - permet que Neiwer prétende qu'en démocratie - caractérisation du fait que le savoir est collectif - qu'une seule personne soit frappée d'insu et aucun ni rien ne peut garantir ni se garantir dudit savoir.

   Secondement l'emploi par Neiwer du " S°° " pour écrire ce chaînage crucial, fait également suite au développement lacanien. L'insu décomposant ledit savoir doit être indiqué parmi les formulations la négation. En bref, un maillon isolé de la série démocratique est écrit S1 mais enchaînés les anneaux s'écrivent - et soutiennent le savoir : S2. Pour insu, un maillon ouvert est une négation de S1, et il annule S2.
   C'est alors que troisièmement Stuart propose l'écriture classique - dite Aristotellicienne - qui écrit la négation en la barrant. Notamment l'écrit-il en barrant horizontalement un mot : "  plat  ". [
65  l'allusion au nom du bar : Fort Boss ou Bosse sera ultérieurement commentée
TaxeYboss ] . Neiwer marque sa distinction en écrivant " S°° " à la place. Il s'agit de rendre compte de cet insu et ajouté aux deux signifiants S1 et S2, de la thèse lacanienne où on l'appelle " semblant ". La vidéo-conférence commentaire renseigne que est une manière d'écrire ce 'semblant'.
   La recherche de Neiwer est au point où il désigne un double semblant pour indiquer l'insu spécifique formé par les conditions modernes de la propagande.

   Ce double semblant - du sujet qui n'est "o" ou zéro qu'en indice, exposant ou indice au carré - est une formulation romanesque. Lascène n'est pas un traité théorique - sinon les traités théoriques seraient des textes chiffrés, des cryptogrammes masqués en romans, voire des semblants de textes théoriques redoublés. Le S°° est à ranger comme une formule surréaliste en peinture. Il image un quatrième élément et motif de Lascène :
   Quatrièmement l'analyse de l'institution psychohistorienne - voire de la psychohistoire tout simplement - découvre des discours gémeaux, jumeaux qu'on appelle " dioscure " (notamment des Castor et Pollux). On trouve ces gémeaux dans pratiquement toutes les mythologies, mais on les trouve aussi avec toutes leurs caractéristiques dans cette psychohistoire ; par exemple selon les couples Propagande & Science-Fiction, ainsi que Savitri Devi & Mirra Alfassa. Lascène traitera de ces doubles couples. Là encore le point de départ est donné par Lacan avec son modèle premier.

   Dans cette formule qui unifie la cybernétique et la psychanalyse, les deux diagonales représentent ces deux couples croisés : (a) & (a') avec le Sujet & l'Autre. Ces dioscures - autrement dit, en exploitant l'anagramme : ces "discours" - sont chacun traité par le régime de la négation ci-dessus décrit. C'est ce qui les qualifie "dioscures". Le premier chapitre ici commenté met en scène un tel couple : Neiwer et Stuart.

La fin du commentaire mène à la personnalité féminine, gestante ou génératrice de l'appareil.